[Terminée] Rencontres nocturnes [pc Astéria Madsen]

Astéria avait rejoint Braedon à la nage, préférant ça à traverser le territoire des sirènes, des sorciers puis une partie plus importante du territoire commun. Il fallait dire aussi que c'était bien plus rapide à la nage qu'en marchant, et moins dangereux aussi. Plus longtemps Astéria restait dans l'océan, plus longtemps elle se sentait en sécurité. La nuit était tombée depuis un moment maintenant et c'était sans aucun doute le moment préféré de la sirène. Elle aimait les paysages qu'offrait la Terre ferme, plus encore à la nuit tombée. Tout était plus beau, plus calme. Si la sirène tentait de ne pas sortir du territoire des sirènes, il lui arrivait, comme aujourd'hui, de venir rejoindre l'une de ses soeurs qui travaillaient à Braedon. Un passage rapide à la taverne lui avait néanmoins appris que Nérina finissait beaucoup plus tard que prévu. Astéria ne pouvait pas faire marche arrière ne souhaitant pas avoir fait tout ce chemin pour rien. Elle décida donc de se promener, de profiter de la nuit et du calme de Braedon. C'était un endroit qu'elle connaissait si peu finalement. Elle n'y venait presque jamais, n'y restait jamais bien longtemps et se contentait de certains endroits. La sirène n'aimait pas la compagnie des autres créatures qui l'effrayaient plus qu'autre chose. Alors elle évitait les passants, s'éloignant le plus possible des quelques créatures qui foulaient les rues du territoire commun.

A force de marcher, Astéria était arrivée sur la grande place. C'était un bien bel endroit, qu'elle ne prenait jamais le temps d'observer réellement. L'endroit, en plein jour, était souvent plein de monde. C'était donc tout naturellement qu'elle l'évitait. Ce soir, la place était plutôt calme. Le regard d'Astéria fut néanmoins attiré par un homme qui semblait perdu dans ses pensées et ses réflexions. Si elle n'était pas venue ici spécialement en quête d'une proie, son instinct lui disait qu'il pouvait être une proie idéale. Astéria chassait rarement en dehors de son territoire, histoire d'être en sécurité ou d'en avoir l'impression. Ici, elle se disait que n'importe qui pouvait la voir approcher cet homme et faire ensuite le rapprochement avec sa disparition. Sauf qu'Astéria ne s'était pas nourrie depuis longtemps déjà et elle n'avait pas le choix si elle voulait conserver l'immortalité que lui offrait la nature. Si pour certaines espèces, l'immortalité était un don qui n'exigeait aucune contrepartie, il en était autrement chez les sirènes. Les vies qu'elles aspiraient leur permettaient de conserver leur jeunesse et ainsi de gagner leur immortalité. C'était une contrepartie. Une contrepartie que la sirène avait longtemps refusé, vieillissant comme n'importe quel humain. Sauf qu'elle n'avait pu se résoudre à vieillir et mourir un jour. Elle voulait rester jeune. Elle voulait être immortelle. Pour se sentir moins coupable, elle avait alors décidé de ne tuer que lorsque c'était nécessaire et surtout de ne se nourrir que d'êtres mauvais. Elle aspirait rarement la vie de ses victimes sans en savoir un minimum d'abord. Elle les testait, leur parlait malgré la peur qu'il lui inspirait et elle les jugeait. Elle jugeait les autres créatures sur le mal qu'elles pouvaient faire alors qu'elle ne valait pas mieux qu'elles.

Chassant ces idées qui l'envahissaient comme à chaque fois qu'elle avait une future proie en vue, la sirène s'approcha de l'homme. Il n'y avait qu'à le regarder pour comprendre que le mauvais en lui dépassait, et de loin, le bon. C'était en tout cas ce que son instinct lui soufflait, instinct pressait d'en finir pour oublier et passer à autre chose. Astéria s'approcha donc de lui, lentement, gardant néanmoins une certaine distance. Comme à chaque fois qu'elle devait jouer à ce petit jeu, son coeur battait bien trop vite, effrayée à l'idée que la situation ne lui échappe. Ici, elle n'était pas chez elle et en cas de problème, il lui était impossible de sauter à l'eau pour s'enfuir. Ce qu'elle était en train de faire était complètement idiot. Sauf qu'elle ne pouvait plus faire demi-tour. « C'est une belle nuit... » souffla-t-elle, une fois à ses côtés, en contemplant la même statue que lui, sans lui jeter le moindre regard. C'était toujours le même procédé, elle oubliait la peur, elle oubliait la Astéria froide et renfermée qu'elle était avec les autres créatures, elle devenait douce pour mettre l'autre en confiance, essayant de laisser le charme naturel qu'elle dégageait pour piéger ses victimes agir. Ce n'était jamais simple, l'autre créature pouvait mal réagir à n'importe quel moment, alors elle restait toujours méfiante, toujours sur ses gardes. « Je ne voulais pas vous déranger... Vous sembliez juste... avoir besoin d'aide. » tenta-t-elle d'expliquer pour justifier son intrusion. Il semblait réellement perdu et pensif, mais ce n'était sans doute pas une raison suffisante pour l'aborder ainsi. Elle ne pouvait pas lui dire clairement que ses traits exprimaient tout ce qu'il y avait de plus mauvais en lui et qu'elle comptait en faire son repas, il fallait bien trouver une autre excuse.

Astéria ne comprenait pas ce qu'elle était en train de faire. Il n'était pas dans ses habitudes de chasser en dehors du territoire des sirènes, pas lorsqu'elle était seule et loin de l'Océan en tout cas. Ici, elle prenait de trop nombreux risques. Elle, si prudente habituellement, était guidée par son instinct et son envie de se débarrasser de cette tâche au plus vite. En effet, plus vite elle trouverait la créature à sacrifier, plus vite elle oublierait ces actes qu'elle commettait pour être immortelle. Pour un temps du moins, jusqu'à sa prochaine victime. Malgré tout, même si l'envie d'aller vite était là, il n'était pas une bonne chose de se précipiter ainsi. Même dans sa façon de l'approcher, il était clair qu'elle n'avait réfléchi à rien du tout. Et s'il s'agissait d'une créature maléfique, comme son instinct lui soufflait, elle n'avait aucun moyen de s'échapper.

Son comportement était stupide, mais elle n'avait plus aucun moyen de faire marche arrière maintenant qu'elle lui avait adressé la parole, lui sortant une banalité sur la nuit. Si au départ Astéria avait les yeux rivés sur cette statue, elle se décida à tourner la tête lorsque l'homme prit la parole. De près, maintenant qu'il lui avait parlé, il semblait bien moins effrayant. Même s'il le restait toujours de par sa nature. Il n'appartenait pas à la même espèce qu'Astéria et, quelque part, cela suffisait pour qu'elle le trouve effrayant et imprévisible. Elle se contenta de lui sourire en retour, jouant au même jeu qu'avec toutes les autres créatures.

Pour espérer ne pas le voir partir tout de suite, bien qu'au fond cela aurait peut-être été la chose à espérer, elle reprit la parole, cherchant à justifier sa présence auprès de lui. Habituellement, elle connaissait ceux qu'elle approchait. Elle trouvait alors quelque chose à leur dire, mais pas à lui. Habituellement, tout était prêt dans sa tête. Cette fois-ci sa raison devait paraître totalement stupide. Même si, au fond, il semblait réellement pensif lorsqu'elle l'avait approché, à observer ces statues. Sans grand étonnement, il restait prudent et n'en disait pas beaucoup. Qui irait se confier dans la seconde à une inconnue ? Elle s'y était mal prise et elle regrettait déjà cette erreur. Elle cherchait quoi lui répondre, craignant de voir sa proie lui échapper. L'homme reprit néanmoins la parole avant qu'elle n'ait pu dire quoi que ce soit. Son visage avait changé du tout au tout, il n'avait plus rien de la mauvaise créature qu'elle avait lu en lui quelques instants plus tôt. Il souriait, paraissait agréable. Mais Astéria était bien placée pour connaître la ruse. N'était-ce pas le meilleur moyen pour mettre ses victimes en confiance ? Astéria utilisait aussi tout ça, elle souriait, elle paraissait douce, elle séduisait. La sirène ne pouvait pas se fier à son apparence seule, il pouvait la tromper comme elle trompait ses proies. « Non, je viens d'un autre royaume. » répondit-elle, sans en dire davantage. Elle avouait rarement, surtout aussi vite, qu'elle était une sirène. Les autres créatures connaissaient la mauvaise réputation de ces dernières, bien que toutes n'étaient pas comme ça, et se laissaient moins facilement avoir. Elles devenaient méfiantes et fuyaient. C'était en tout cas l'idée que se faisait Astéria des relations entre les sirènes et les autres créatures. « Je ne m'aventure que rarement à Braedon, je connais très peu. » souffla-t-elle en souriant. Ça, c'était vrai. Elle ne s'y aventurait que par nécessité ou dans de rares occasions. Jamais pour visiter ou pour y passer du temps. « Et vous ? D'où venez-vous ? » le questionna-t-elle à son tour, espérant en apprendre plus sur son espèce. Certaines espèces étaient par nature bonnes. Il y avait des exceptions, comme partout, mais Astéria ne perdait pas son temps avec elles ayant trop peu de chances d'y trouver une potentielle proie. « Il s'agit de votre peuple ? » demanda-t-elle avec un signe de tête vers la statue. Peut-être était-il en train de prier ses dieux ou de leur parler. Ce n'était peut-être pas une bonne question, indiscrète très certainement et il n'avait peut-être pas envie de répondre, mais elle tentait quand même. Elle avait mal commencé depuis le début de toute façon, elle n'était plus à une erreur près. Et puis, s'il semblait si pensif, peut-être aurait-il envie de se confier un peu plus. Ou pas, après tout, elle restait une inconnue qui l'abordait sans raison.

Astéria tentait de garder son calme, de discuter calmement comme pourrait le faire n'importe quelle créature. Elle n'était pas à l'aise. Elle n'était jamais à l'aise avec une autre créature parce qu'elle ne leur accordait aucune confiance. Tout aurait pu être différent si elle n'avait pas grandi dans l'océan. Nombreuses étaient les sirènes à s'adapter dès leurs premiers pas à la surface, mais pour Astéria tout avait été différent. Passer seize années en compagnie des autres sirènes uniquement l'avait rendu craintive de ces autres créatures qu'elle ne connaissait que de nom et d'histoire. Pourtant, elle se devait de fréquenter les autres créatures. Oh, pas par envie non, simplement par nécessité. Comme ce soir, elle ne s'adressait à cet inconnu que par nécessité : celle de se nourrir pour ne pas vieillir et ne pas mourir.

Alors elle s'adressait à lui, essayait de lui poser des questions tout en paraissant douce et agréable. Elle devait le mettre en confiance, elle devait paraître inoffensive. Déjà qu'elle devait paraître étrange à aborder un inconnu en pleine nuit. Ce coup-là, elle l'avait clairement mal joué. Pourtant l'homme n'était pas encore partie en courant. Il ne semblait pas particulièrement méfiant non plus. Le pire, selon elle, était que, finalement, il ne semblait pas non plus mauvais. Hors elle ne l'avait abordé que pour cela, parce qu'il lui semblait être la cible idéale : d'une autre espèce et mauvais. Néanmoins, la sirène pouvait toujours se tromper et l'homme pouvait très bien cacher son jeu. Personne n'avouait jamais être un monstre en quelques secondes.

A la question de l'homme, Astéria avoua venir d'un autre royaume, sans préciser lequel. Comme pour toutes les créatures, il y avait des êtres bénéfiques et des êtres maléfiques chez les sirènes. Le temps lui avait néanmoins appris que les sirènes étaient bien souvent considérées comme manipulatrice et séductrice. Elle se cachait donc bien souvent des autres, préférant garder ce mystère. Sans cela, elle aurait certainement bien trop de difficulté à attirer ses futures victimes, qui deviendraient alors trop méfiantes. Dans ce royaume, territoire neutre de leur île, elle ne risquait rien à dire qu'elle venait d'ailleurs. Tout le monde venait d'ailleurs, ou presque. Seuls les humains pouvaient réellement prétendre appartenir à ce territoire puisqu'ils n'en avaient aucun autre. La sirène précisa également qu'elle venait peu ici. Elle se rendait volontairement vulnérable aux yeux de sa proie - bien qu'elle ne mentait pas en disant cela. C'était souvent le meilleur moyen de réveiller le pire en eux rapidement. Ce n'était pas prudent. Pas lorsqu'il n'y avait personne à proximité pour l'aider et pas lorsqu'elle n'était pas sur son territoire, à proximité de l'océan pour retourner se mettre à l'abri en cas de problème. « Ce n'est pas idiot... » souffla Astéria, lui souriant. « Merci. » répondit-elle, ne voyant, peu à peu, plus rien de ce qu'elle avait imaginé de lui quelques minutes plus tôt. Cela devenait compliqué. Cachait-il simplement bien son jeu ?

La jeune femme lui retourna alors la question, cherchant à savoir à quelle créature elle pouvait avoir à faire. Si elle se méfiait de toutes, elle se méfiait plus encore de certaines qui avaient plus mauvaise réputation que d'autres. Elle fut presque étonnée de sa réponse. Personne ne venait vraiment d'ici. Souvent, les créatures grandissaient dans leur royaume et décidaient de s'installer ici ensuite. Mais pas toutes, il était vrai. Certaines créatures avaient quitté leur royaume depuis bien longtemps, installées ici depuis plusieurs générations. « Cela doit être... » elle cherchait le bon mot, mais ne le trouvait pas. « particulier de vivre au milieu de différentes créatures. » elle ignorait s'il était bon de faire ce genre de réflexion, mais elle n'avait pas vraiment réfléchi à ce qu'elle était en train de dire. La sirène, elle, ne pourrait jamais partager sa vie avec autant de créatures différentes. Trop méfiante, ce serait invivable. Et en même temps, si elle avait vécu ainsi, sans doute que ça ne lui poserait aucun problème et qu'elle ne trouverait pas ça étrange. Mais avec sa vision actuelle des choses, elle se demandait toujours comment cette paix pouvait tenir, comment tant de créatures différentes pouvaient vivre ensemble sans se battre et s'entre-tuer.

Astéria s'intéressa de nouveau à lui, le questionnant encore. D'un geste de la tête, elle lui avait désigné les statues devant lesquelles il était, lui demandant s'il s'agissait de son peuple. Elle fut étonnée de ne pas obtenir de réponse immédiatemment. Il semblait réfléchir. C'était étrange. Ce n'était pas vraiment le genre de questions où l'on réfléchissait. La réponse était souvent évidente. Alors elle restait sur ses gardes, imaginant qu'il cherchait le meilleur mensonge à lui servir. Astéria fut plus étonnée encore lorsqu'il donna sa réponse. Elle se tourna aussitôt vers lui, posant son regard sur lui pour l'observer un instant, essayant de comprendre le sens caché de ce qu'il était en train de dire. Pourtant elle ne comprenait rien, n'ayant que quelques vagues hypothèses qui la traversaient. Il était rare qu'elle puisse dire ça d'une autre créature, mais elle était intriguée. « Comment est-ce possible ? » demanda-t-elle en ne pouvant s'empêcher de jeter un rapide coup d'oeil, discret elle l'espérait, à la statue qui la représentait elle : celle des sirènes. Un hybride qui ne connaissait qu'un de ses côtés ? Quelqu'un qui ignorait tout de ses origines ? Rien ne semblait justifier sa réponse. Même sans vivre dans son royaume, il était impossible de ne pas connaître ses dieux ou son histoire, si ? « Comment peut-on ignorer qui on est ? » compléta-t-elle, consciente qu'elle était indiscrète et curieuse, mais pour une fois tout ça prenait le pas sur sa crainte des autres. Et puis, elle l'avait bien abordé pour ça, non ? Parce qu'il semblait pensif, même si ça n'avait été qu'une excuse, alors autant jouer ce rôle jusqu'au bout. Cela pouvait être l'occasion idéale de savoir s'il était la proie parfaite ou non.

Astéria avait de plus en plus l'impression de s'être trompée. Son instinct semblait l'avoir dirigé vers la mauvaise proie. Habituellement, elle était plus prudente. Elle n'approchait souvent sa proie que lorsqu'elle était sûre d'elle, après avoir pris de nombreux renseignements ou après avoir observé, longtemps. Cette nuit, elle avait fait n'importe quoi. L'homme lui avait semblé bien dangereux lorsqu'il était seul, à contempler ces statues. Puis, presque aussitôt ses traits s'étaient adoucis. Évidemment, elle n'était pas complètement stupide et il ne suffisait pas de cela et de quelques mots gentils pour qu'elle lui offre sa confiance. Néanmoins, elle n'arrivait plus à trouver ce mauvais qu'elle avait aperçu tout à l'heure et elle ne savait plus quoi faire. La sirène ne pouvait pas passer des heures ici, quoi qu'elle n'avait rien de mieux à faire puisque sa soeur n'était pas prête de terminer son travail. Si elle ne pouvait pas s'attarder ici, c'était uniquement parce qu'elle n'était pas à l'aise en compagnie d'autres créatures. Elle préférait alors partir et attendre seule, dans un coin tranquille, sa grande soeur. Pourtant elle restait là, voulant être certaine de ne pas passer à côté de la proie idéale et, même si elle ne voulait pas vraiment se l'avouer, ne voulant pas partir comme une voleuse. Ce n'était, après tout, pas si horrible de discuter avec une autre créature. C'était sa curiosité qui parlait, mais elle l'empêchait déjà bien trop souvent d'exister alors pour une fois, elle pouvait faire une exception.

Lorsqu'elle le remercia en souriant, la sirène remarqua qu'il rougissait. Ou alors, elle voyait mal. Ce n'était pas impossible non plus. Pouvait-il cacher si bien son jeu ? Cet homme-là pouvait-il réellement être mauvais ? A vrai dire et pour la première fois, ou presque, Astéria était réellement perdue. Perdue parce qu'il n'avait pas les réactions qu'elle imaginait. C'était troublant. Habituellement son scénario était clair dès le départ et elle ne perdait pas tellement de temps. Ici, la discussion l'intéressait même si elle essayait toujours d'y déceler le moindre mal. Elle l'écoutait raconter ce qu'il voulait bien raconter sur sa vie à Braedon. Ils avaient une vision différente, c'était évident. Après tout, ils n'avaient jamais mené la même vie. Aux yeux de la sirène, il semblait difficile et particulier de vivre au milieu de tant de créatures différentes. Aux yeux de l'homme, c'était quelque chose de naturelle, d'habituelle. « Toutes les créatures sont vraiment acceptées ici ? » demanda-t-elle, sans réfléchir avant de poser sa question. Toutes les créatures ne pouvaient pas réellement vivre loin de leur royaume. Pour les sirènes, c'était compliqué. Elles avaient besoin de l'eau pour survivre et ne pas mourir. Mais la moindre goutte d'eau, sur la terre ferme, pouvait les retransformer et les tuer rapidement. Alors, elle s'imaginait que chaque créature avait ses contraintes. Comment faisaient-elles alors pour vivre ensemble, toutes ici ? Et même sans cela, comment pouvaient-elles toutes s'entendre ? « Mon peuple, c'est un peu comme... ma famille. » souffla-t-elle pour répondre à son interrogation qui n'en était peut-être pas vraiment une. C'était un aveu qu'elle faisait bien peu. Après tout, hormis avec d'autres sirènes, elle ne parlait jamais des siens ou de ses sentiments, de ses ressentis.

La sirène fut alors curieuse d'en apprendre plus sur cet homme. Elle le questionna alors sur la statue qu'il observait, cherchant à savoir s'il s'agissait de son peuple ou non. Sa réponse fut, pour le moins, troublante et étonnante. Astéria s'attendait à tout, ou presque, mais pas à cette réponse. Comment pouvait-on ignorer celui que l'on était ? Elle le questionna donc, laissant toute sa curiosité s'exprimer. Elle avait tout son temps après tout. S'il était mauvais, il cachait bien son jeu et apprendre à le connaître pouvait permettre à Astéria de mieux le découvrir. Et s'il n'était finalement pas sa prochaine proie, elle partirait avec, peut-être, pour une fois, une bonne impression sur une autre créature. A mesure où il donnait des explications, il était clair que ce n'était pas un événement joyeux dont il parlait, tant dans ses expressions que dans ses explications. « Votre peuple vous a rejeté ? » demanda-t-elle, n'imaginant pas une seconde ce que cette question pouvait causer. Sans doute qu'on ne demandait pas ça comme ça. Elle n'était pas habituée à tout cela, elle n'était habituée qu'aux discussions avec d'autres sirènes. « Je suis désolée pour vous. » répondit-elle, sincère, sans même s'y attendre elle-même.

L'homme ne semblait pas gêné à l'idée de discuter de tout ça, mais semblait, en même temps, vouloir chasser tout le mauvais qui ressortait de ses aveux. Il retrouva alors finalement le sourire, se tournant vers la sirène pour se présenter et lui tendre la main. Sa présentation la fit sourire, mais elle hésita un instant à tendre également sa main. Tout cela, ce n'était vraiment pas habituel pour elle et elle était en train d'oublier la raison première de son approche. Pourtant, elle lui tendit tout de même, lui serrant la main rapidement. « Enchantée. » répondit-elle, reprenant aussitôt. « Astéria Madsen. » Même si elle ne voulait pas se lier à d'autres créatures, elle ne risquait pas grand chose à simplement discuter et se présenter. Peut-être était-il temps pour elle de s'ouvrir un peu à ce monde. « Puis-je vous demander à quel peuple vous appartenait, Erik ? » elle ne voulait pas insister, mais sa curiosité était toujours bien présente. « Vous n'êtes pas obligé de répondre, je suis sans doute indiscrète. Et je ne veux surtout pas vous obliger à parler si vous n'en avez pas envie. » d'autant qu'elle craignait qu'il ne lui renvoie la question. La sirène cachait souvent qui elle était, pour des raisons évidentes. Et puis, aussi étonnant que cela puisse paraître, elle ne voulait pas le mettre mal à l'aise ou l'obliger à parler de choses qui le dérangeait. De toute façon quelque chose lui disait qu'elle repartirait chez elle sans une future proie, alors à quoi bon continuer de poser des questions ?

Astéria comprenait les interrogations de l'inconnu. Vivre parmi les siens et vivre isolé devait être deux choses totalement différentes. Auprès des siens, Astéria se sentait en sécurité, se sentait chez elle et se sentait en famille. Auprès des siens, il était possible de se comprendre et d'apprendre au contact des uns et des autres. Il était, néanmoins, certainement possible de vivre loin de son peuple. C'était même certain. Cet homme en était la preuve vivante. Rien n'empêchait de grandir loin des siens. Aux yeux d'Astéria, cela semblait compliqué ou impossible, mais simplement parce qu'elle n'avait pas vécu ainsi. Tout comme l'idée de vivre ici, à Braedon, lui paraissait impossible. Même ici, la paix pouvait-elle réellement exister ? Toutes les créatures pouvaient-elles réellement coexister sans se battre ? Elles étaient toutes différentes, tant dans leurs façons de vivre, que dans leurs habitudes, alors comment vivre ensemble ? Ça ne devait pas être facile tous les jours. « Vivent-elles réellement sans se juger ? Sans avoir peur les unes des autres ? » Astéria posait beaucoup de questions, mais c'était un nouveau monde qui lui apparaissait. Une nouvelle façon de vivre. La sirène n'avait jamais quitté l'océan, sauf pour se nourrir ou découvrir les paysages qu'offrait la terre ferme. Elle ne s'intéressait pas aux autres créatures, sauf dans les livres. Elle n'avait jamais réellement cherché à les fréquenter ou à apprendre sur elles parce qu'elle lui faisait peur. A l'autre réflexion de l'homme, Astéria se contenta de sourire, confirmant ses dires par un regard. Pour Astéria, c'était important. Jamais elle ne pourrait vivre loin de sa famille ou des autres sirènes. Sans elles, elle était perdue.

Puisque leur conversation semblait durer, l'homme se présenta tout en lui tendant une main. La sirène hésita un court instant à tendre sa main. C'était absurde, mais elle n'était pas habituée à ce genre de contact, aussi habituel soit-il. Cela devait paraître incompréhensible à son interlocuteur. Il ne pouvait pas se douter, après tout, que son approche n'était en rien sincère et qu'elle le faisait sans aucune envie, au départ. Elle se forçait à discuter, à paraître agréable pour se rapprocher de ses proies. La Astéria douce et agréable n'existait réellement qu'avec les membres sa famille. Ici, ce n'était qu'un jeu. Au tout début du moins. Elle devait admettre que la conversation était plus agréable qu'elle ne l'aurait pensé. Bref, elle tendit finalement la main et se présenta à son tour. Au compliment d'Erik, elle se contenta de nouveau de sourire, ajoutant un simple : « Merci. »

Si Astéria ne fréquentait pas d'autres espèces en règle générale, elle devait avouer que cet homme avait attiré sa curiosité. Il lui avait révélé des choses, sans jamais entrer dans le détail. La sirène, généralement, faisait taire sa curiosité, mais cette fois-ci, elle ne se retenait pas et posait les questions comme elles lui venaient. Il fallait dire que, finalement, cet Erik ne semblait plus si mauvais qu'au moment où elle l'avait abordé. Elle était toujours méfiante bien sûr, toujours sur ses gardes. Après tout, il restait une créature différente, une créature imprévisible et potentiellement dangereuse, mais il l'avait rassuré quelque part. Alors elle osa lui demander de quelle espèce il était. Comme la sirène était bien placée pour comprendre qu'on ne voulait pas toujours dévoiler son peuple, elle précisa qu'elle était indiscrète et qu'il n'était pas obligé de répondre. L'homme prit quelques secondes, pour réfléchir sans doute, avant de finalement se lancer. Il semblait ne pas être gêné à l'idée de révéler son identité. Il n'avait pas peur. Astéria ne représentait pas une grande menace après tout, c'était en tout cas la première impression qu'elle devait donner, alors quand bien même elle réagirait mal à cette annonce, il ne prenait pas grand risque.

Erik précisa alors qu'il n'y avait aucune raison de se cacher, qu'il n'y avait ni honte ni peur. A ses mots, la sirène ne put que baisser les yeux, presque gênée d'entendre ça, comme s'il s'agissait d'une critique à son encontre alors qu'il n'en était rien, évidemment. Astéria aurait aimé éprouver les mêmes sentiments : pas de honte, pas de peur. Elle aimait les siens, elle aimait être une sirène, mais elle n'aimait pas l'image que les sirènes renvoyaient parfois à d'autres créatures. Nombreuses étaient les légendes sur ces dernières, des légendes les dépeignant comme des vampires des mers, des démons, à attirer leurs proies pour aspirer leur énergie vitale. Ces légendes n'étaient pas fausses. Certaines sirènes choisissaient ce mode de vie. Elles tuaient pour survivre, comme le faisait Astéria, sans jamais aucun plaisir. D'autres affaiblissaient leurs victimes sans jamais les tuer. D'autres encore acceptaient de vieillir, refusant de tuer ou d'affaiblir des innocents. Des histoires, pires encore, parlaient de l'habitude, pour certaines sirènes, d'attaquer de jeunes enfants. Plus la victime était jeune, moins le besoin de se nourrir était fréquent. Si Astéria n'était pas un ange, jamais elle ne s'attaquerait à un être innocent, à un enfant. Elle choisissait ses victimes jeunes, mais jamais des enfants et toujours - elle essayait du moins - des coupables, des gens mauvais, des créatures coupables de quelque chose.

Astéria se perdit un instant dans ses pensées, mais en ressortit bien vite lorsqu'Erik reprit la parole, avouant enfin ce qu'il était. Astéria n'eut pas de réaction directement, pas lorsqu'il lui avoua être un loup-garou. Elle tenta de rester neutre, mais ne put s'empêcher de lui lancer un regard lorsqu'il avoua être un semi, en revanche. La sirène ne connaissait les différences et les traits propres à chaque espèce que grâce aux livres qu'elle dévorait en permanence. Les loups faisaient partis des espèces qui lui faisaient le plus peur, avec les vampires et les dragons, certainement. Les démons étaient bien au-dessus des autres, mais Astéria n'en avait jamais rencontré. Ou sans le savoir alors. Les démons étaient, de toute façon, bien supérieurs aux autres espèces alors ses craintes étaient justifiées et jamais elle ne s'attaquait à eux. Si Astéria craignait les loups, donc, elle craignait davantage encore les semis. Ces derniers avaient la réputation d'être instables et incontrôlables. Si les livres disaient vrais, ils ne contrôlaient ni leur transformation ni leurs actions une fois transformé. Une bonne raison pour que la sirène ne s'approche pas d'eux en dehors de son propre territoire, lorsqu'elle pouvait se remettre à l'abri en un instant. En d'autres circonstances, il s'agissait de proies bien trop dangereuses et elle ne voulait pas prendre tant de risques. « Vous êtes né comme ça ? » le questionna-t-elle, ayant toujours imaginé les semis comme des humains mordus, sans avoir pu penser qu'on le devenait par la naissance. « En quoi êtes-vous différent des vôtres ? Des autres lycanthropes, ceux qui ont le sang... pur. » elle ne trouvait pas les mots exacts, alors elle se débrouillait comme elle le pouvait pour s'expliquer, en reprenant ses mots à lui, espérant ne pas le vexer s'il les entendait sortir d'une autre bouche. « Pourquoi vous rejettent-ils, si vous êtes comme eux ? Ont-ils peur de vous ? De ce que vous êtes ? » précisa-t-elle, peut-être toujours aussi maladroite dans ses questions, mais elle voulait comprendre. S'ils partageaient les mêmes gênes, pourquoi était-il rejeté ? Sa simple naissance l'avait-elle condamné dès le départ à être exclu ? « Pardonnez-moi, je n'ai pas à vous demander tout ça... » conclut-elle finalement, presque aussitôt, détournant les yeux un instant pour regarder au loin. Qu'est-ce qui lui prenait ? « Mes questions sont indiscrètes, je suis indiscrète... Je ne sais pas pourquoi je vous demande tout ça... Je suis désolée. » D'autant qu'en d'autres circonstances elle aurait certainement fui face à un semi, mais celui-ci semblait calme et il n'avait rien à voir avec les loups incontrôlables des livres, mais en même temps, à quoi s'attendait-elle d'autre ? Évidemment que tous les semis n'étaient pas des êtres incontrôlables en permanence ! C'était juste son manque de connaissances qui lui faisait dire toutes ces bêtises.

Astéria n'imaginait pas la cohabitation des différentes espèces. Elle ne voyait que les querelles et les problèmes qu'une telle cohabitation pouvait engendrer. Les créatures n'étaient pas faites pour vivre ensemble. Chacune avait ses particularités, souvent incompatibles avec celles des autres. Elle, elle avait grandi au milieu des sirènes, sous l'Océan, et elle n'imaginait pas une autre vie possible. Parmi toutes ces créatures, certaines étaient des prédatrices tandis que d'autres étaient les proies. Comment les proies et les chasseurs pouvaient vivre ensemble, en paix ? Comment vivre en sachant que son voisin pouvait à tout moment décider de faire de vous sa victime ? Existait-il réellement une autre vie possible que celle imaginée par la sirène ? Dans de nombreuses situations, elle était la chasseuse. Elle était celle qui repérait une potentielle proie et qui la tuait. Longtemps, elle avait refusé cette vie, pourtant elle s'y était soumise comme de nombreuses autres sirènes : pour vivre éternellement. Un lourd prix à payer pour elle. Mais elle l'avait accepté. Cela faisait d'elle un monstre sans doute. Assurément, même. Toutes les créatures de Braedon avaient-elles renoncé à leurs instincts premiers, à leurs besoins, à ce qui faisaient d'elles ce qu'elles étaient ? Toutes les créatures de Braedon avaient-elles renoncé à faire le mal ? Astéria ne pouvait y croire. Alors la sirène se montrait curieuse de comprendre comment une telle vie était possible. La réponse de l'homme la laissa pensive un instant et elle ne pensa même pas à demander pourquoi ces crimes faisaient qu'il devenait utile dans ce lieu. A vrai dire, elle était bien trop plongée dans ses pensées, en train de s'imaginer ce que pouvait être la vie au milieu de tant de gens différents. Est-ce que ça pourrait lui plaire à elle ? Non, pas dans les circonstances actuelles, pas avec cette peur et cette haine qu'elle vouait à de nombreuses espèces. En d'autres circonstances, si sa vie avait été différente, peut-être.

La curiosité d'Astéria la poussa à questionner Erik sur qui il était, ce qu'il était. Il n'était pas toujours simple d'avouer sa nature, par crainte d'être jugé à cause des préjugés ou simplement par honte. La sirène connaissait parfaitement ces sentiments, mais lui ne semblait pas être gêné d'en parler. Il aurait pu pourtant. Il n'appartenait pas à l'espèce la plus appréciée de l'île, plus encore à cause de son statut de semi qui faisait de lui un être instable et dangereux aux yeux de beaucoup. La jeune femme n'était pas totalement rassurée, les préjugés et la mauvaise image que renvoyaient les semis ne la quittant pas. Pourtant, elle restait. Elle restait parce que cette conversation était agréable, même si elle ne se l'avouait pas, et parce que son statut pouvait faire de lui cette proie qu'elle recherchait. Même si, en réalité, elle doutait de plus en plus que ce type puisse être capable du pire, à moins d'avoir face à elle, le meilleur des comédiens. Pourtant, habituellement, elle aurait pris la fuite. Elle n'était pas dans son élément, elle n'avait aucun pouvoir, aucune capacité lui permettant de se défendre en cas d'attaque, elle n'avait aucune mer, aucun océan à proximité où se cacher en cas de problème. Elle était vulnérable. Mais, elle restait là. Elle restait là et elle le bombardait de questions. A tel point qu'elle se rendit compte elle-même de son indiscrétion et de son impolitesse. Elle s'excusait donc. A trop poser de questions, elle pouvait paraître étrange ou suspecte. La sirène n'était pas habituée des relations avec les autres, alors elle s'imaginait que tout pouvait être suspect. A juste titre, dans ce cas précis, même si maintenant la curiosité et l'envie d'en apprendre plus avait pris le pas sur son envie d'en faire sa prochaine victime, elle devait l'avouer.

Le semi excusa la sirène, assurant que c'était agréable de rencontrer quelqu'un qui essayait de comprendre plutôt que de juger. Astéria garda son regard posé au loin, fixant quelque chose qui n'existait pas, un point invisible à l'horizon. S'il savait. S'il savait que toutes ses questions, que son approche était intéressée. Au début, du moins. Dans ces moments-là, elle avait plus honte encore de ce qu'elle était et de ce qu'elle faisait. Elle prenait une vie pour prolonger la sienne. Elle était le monstre qu'elle craignait de voir à chaque fois qu'elle croisait une autre créature. Et elle ne pouvait en parler à personne. Parce qu'elle avait honte d'être ce qu'elle était et qu'on la fuirait pour ça. Et parce qu'elle n'osait pas parler à sa famille, de peur d'être mal vue, d'être rejetée, de les blesser. C'était sans doute stupide. « J'ignorais qu'un semi pouvait... se maîtriser. » Pas même un minimum. De penser comme ça aussi était sans doute stupide. « Ils vous rejettent, mais ce sont pourtant eux les responsables... » souffla Astéria, tournant les yeux vers lui un instant. « Ils vous ont créé. Ils sont à l'origine de votre... de votre existence. » Pas qu'eux, pas uniquement les loups d'aujourd'hui, puisque les semis existaient depuis des siècles, mais les loups étaient responsables de l'existence de semi, hier comme aujourd'hui. « Vous faîtes partis de leur espèce, ils devraient se sentir responsables de votre sort et vous aider. » Astéria n'imaginait pas laisser une sirène se débrouiller seule. Alors dans le cas des semis et des loups, il y avait des différences évidemment, mais il s'agissait d'une seule espèce avec deux types de créatures. Comment pouvait-on laisser les siens se débrouiller ainsi ? Le lien qu'entretenaient les sirènes les unes avec les autres pouvait sans doute se justifier par le fait qu'elles vivaient ensemble jusqu'à leur seizième année, sans jamais rien connaître des autres espèces. De plus, les sirènes ne pouvaient pas vivre librement à la surface avec les autres créatures, elles étaient forcées de retourner dans l'océan régulièrement ce qui renforçaient les liens entre elles. Alors, il était absurde de comparer le comportement de différentes créatures parce que ça n'avait rien à voir.

Puis vint enfin cette question qu'elle ne voulait pas entendre, même si elle se doutait - après avoir posé autant de questions - qu'elle y aurait le droit elle-aussi. Cette situation était toujours compliquée pour la sirène. Elle partageait de nombreux points communs avec Erik. En apprenant qui elle était, certains prenaient peur. Les sirènes avaient souvent bien mauvaise réputation, à séduire pour tuer, à manipuler. Dire la vérité l'exposait au danger. Mentir n'était pas une option envisageable. Refuser de répondre paraîtrait suspect. « Tout le monde ne parle pas de son espèce avec autant de... facilité que vous. » lança la sirène, essayant de sourire pour que ça ne paraisse pas être une critique. « Mon espèce et la vôtre partageons un point commun... » comme bien d'autres espèces certainement, d'une part, et d'autre part, elles partageaient bien plus qu'un point commun. « Les gens se méfient de nous... De qui nous sommes. De ce que nous faisons. » Elle tournait autour du pot, mais il était désormais trop tard pour ne rien dire. « Je suis une sirène. » souffla-t-elle, n'ajoutant rien, baissant les yeux pour observer le sol en attendant la réaction de l'homme, craignant qu'il ne comprenne le pourquoi elle l'avait abordé.

Astéria n'avait jamais été aussi curieuse envers une autre créature. Bien longtemps, elle les avait fui autant qu'il était possible de le faire. Hormis le territoire commun qu'était Braedon et le territoire des sirènes, Astéria n'avait jamais mis les pieds sur aucun autre territoire. Elle était fermée aux autres et aux dangers qu'ils représentaient à ses yeux. Les seules créatures qu'elle approchait depuis peu, elle les approchait uniquement pour les tuer. Alors autant dire qu'elle ne se montrait qu'un minimum curieuse, jusqu'à s'assurer de qui était la personne. Ici, c'était différent. Quelque part, elle était touchée par l'histoire de ce semi. Curieuse aussi. Il était, et de loin, l'être le plus bon qu'elle avait rencontré jusqu'à présent. Bien sûr, il pouvait jouer un jeu. La sirène n'était pas complètement naïve ou stupide, mais elle faisait confiance à son instinct. Il s'était, évidemment, trompé en l'amenant vers lui parce qu'il n'avait rien d'une proie, mais cette fois-ci tout lui indiquait que cet homme n'était pas mauvais. Et elle avait envie d'y croire.

Sans grande résistance, il se confia donc sur sa nature et le rejet de son propre peuple. Si Astéria se persuadait de plus en plus qu'il n'était pas mauvais, elle restait néanmoins prudente. Elle connaissait la réputation des semis. A ses yeux, ils n'étaient que danger et instabilité. Pourtant, elle était restée là. Parce qu'au fond d'elle, elle réalisait à quel point ses préjugés pouvaient être stupides. Cet homme était un semi et il n'avait pas l'air instable. Comment avait-elle pu s'imaginer qu'un semi était le genre de créature à se transformer pour un rien ? C'était stupide... Enfin, peut-être. A vrai dire, elle ne savait plus quoi penser. Il y avait évidemment une différence entre les livres et la réalité, mais... peut-être était-ce simplement lui qui était une exception ? Il lui confia alors qu'il se maîtrisait un minimum et elle répondit donc, en toute franchise, qu'elle ignorait que cela était possible. C'était vrai. Elle n'avait pas honte de son ignorance. Les sirènes avaient un mode de vie particulier qui les poussait à vivre séparées des autres créatures, elles ne grandissaient pas parmi elles et n'allaient même pas dans la même école. Alors si toutes les autres créatures avaient la possibilité de se fréquenter dès leurs premières années, ce n'était pas le cas des sirènes et cela pouvait expliquer cette méfiance et cette méconnaissance. « J'imagine comme cela doit être difficile... » souffla-t-elle, sans trop savoir ce qu'elle devait dire. Peut-être attendait-il autre chose, d'être rassuré ou avoir un mot gentil. Elle n'en savait rien. La sirène n'était décidément pas douée pour avoir une discussion normale et avoir des réponses adaptées. Mais elle imaginait vraiment comme il devait être difficile de ne pas pouvoir maîtriser son propre corps et ses propres pouvoirs. Elle imaginait comme le rejet devait être difficile.

Le pire, selon elle, était que ceux rejetant le plus les semis étaient ceux à l'origine de leur naissance. Leur propre peuple les rejetait. Tout ça parce qu'ils n'étaient pas parfaits à leurs yeux. Ils avaient imposé une vie, des conditions difficiles à d'autres êtres et ils les avaient abandonné à leur sort, tout simplement. Astéria ne comprenait pas comment il était possible de rejeter les siens. Son peuple. En toute circonstance, selon la jeune femme, un peuple devrait être uni. Allié. Prêt à s’entraider. Pourtant, si le semi semblait d'accord - en partie du moins, il concluait en expliquant que c'était autrement et qu'il s'y était fait. « Même si vous avez réussi à vous en sortir, cela n'excuse pas le comportement de votre peuple. Je suppose que tous les semis ne s'en sortent pas aussi bien ? » C'était même logique. Le rejet devait être plus difficile à accepter pour certains. Certains ne devaient pas réussir à s'entourer des bonnes personnes, à passer outre l'abandon de son propre peuple, à évoluer et à se contrôler. Si Erik était une exception, Astéria ne comprenait pas comment les loups pouvaient abandonner ainsi les semis, sachant ce qui pouvait leur arriver. Ce n'était rien de plus qu'une nouvelle raison de les haïr.

Si Astéria posait énormément de questions depuis le début de cette rencontre et si elle aimait en apprendre plus à chaque fois, elle n'avait aucune envie de voir les questions lui être retournées. Pourtant, elle le savait. Elle savait bien qu'il allait, à un moment ou à un autre, lui poser des questions lui-aussi. C'était logique. Logique qu'il veuille en apprendre plus sur la femme qui lui posait toutes ces questions. La sirène hésita longuement. Il n'y avait pas un millier de solutions lorsqu'il lui demanda de quelle espèce elle était. Elle pouvait lui mentir, mais elle ne saurait jamais répondre aux éventuelles autres questions sur une espèce autre que la sienne. Elle pouvait refuser de répondre, mais cela paraîtrait suspect. Mis à part une coupable ou quelqu'un qui avait quelque chose à se reprocher, qui refuserait de répondre ? C'était trop dangereux. Elle ne tenait pas à le mettre en colère. Enfin, il lui restait une solution : dire la vérité. Cette vérité dont elle avait honte et qui la mettait en danger également. La mauvaise réputation des sirènes la poussait à ne rien avouer, en général. Dans ce cas précis, il pouvait facilement comprendre - ou se douter, du moins - le pourquoi la sirène l'avait approché sans raison précise. Et il aurait raison. Pourtant, il lui apparaissait que c'était la meilleure solution. La vérité. Pourquoi ? Elle était incapable de le dire, mais elle était sûre d'elle. Elle tourna alors autour du pot, tenta de préciser des choses ou de s'expliquer avant même de dire ce qu'elle était.

Une fois son aveu fait, la sirène baissa les yeux en attendant une réaction. Elle craignait tant qu'il ne comprenne. Elle pouvait prendre la fuite, mais il n'y avait pas, à proximité, à sa connaissance, d'endroit où se réfugier et être en parfaite sécurité. Pourtant, il ne prononça que deux mots pour commencer. Astéria n'ajouta rien, attendant qu'il reprenne la parole. Parole qu'il reprit sans qu'Astéria ne comprenne où il voulait en venir. Etait-ce une plaisanterie ? Une accusation voilée ? La sirène releva les yeux vers lui, cherchant le moindre signe d'accusation, mais elle ne lut rien. Peut-être parce qu'il cachait bien son jeu ? Avait-il confiance en elle ? S'il était possible de parler de confiance après quelques minutes de discussion ! « Je suis venue chercher quelqu'un. » souffla-t-elle, mais aussitôt elle s'imagina que cette phrase pouvait avoir un autre sens. Elle s'imaginait que l'inconnu allait comprendre qu'elle était venue chercher quelqu'un, une proie. A l'origine, elle n'était pas là pour ça. Même si elle avait approché Erik dans ce but. « Je suis venue chercher ma soeur qui travaille ici, mais elle a été retenue. » précisa-t-elle, totalement sincère sur la première raison de sa venue. « Elle ne terminera pas avant plusieurs heures... alors j'ai décidé de découvrir un peu mieux ce territoire... » précisa-t-elle encore comme si elle avait besoin de se justifier toujours plus. Elle continuait à se montrer douce et inoffensive, bien qu'en connaissant sa nature, il se montrerait désormais plus prudent. Elle se sentait, néanmoins, plus mal à l'aise encore qu'au début de cette conversation et plus encore sur ses gardes, prête à attaquer ou à fuir au moindre signe d'agressivité de la part de l'homme. Après tout, elle ne pouvait pas savoir ce qu'il pensait des sirènes ou la réaction qu'il pourrait avoir en comprenant le pourquoi elle l'avait approché. « Je sais à quoi vous pensez... » souffla-t-elle plus comme un murmure qu'elle n'avait pas contrôlé qu'autre chose. C'était stupide, pourquoi dire ça ? Cela n'apportait rien et pouvait entraîner plus de questions encore. D'autant que ce qu'il pensait était certainement juste. Décidément cette conversation et cette rencontre faisaient faire n'importe quoi à la sirène. Peut-être que la meilleure solution aurait été de l'attaquer directement ? Le charme qu'elle dégageait naturellement pour séduire ses victimes ne semblait pas avoir spécialement fonctionné avec lui, sans doute parce qu'elle n'y avait pas mis beaucoup d'efforts et elle ne possédait encore aucun pouvoir de manipulation, mais en attaquant la première, rapidement et précisément, peut-être aurait-elle eu une chance ? « Avais-je raison ? » demanda-t-elle, sans toujours savoir pourquoi. Elle reprit aussitôt. « Avais-je raison de ne pas vouloir parler de ce que je suis ? » peut-être cherchait-elle à justifier une future attaque ? Le mépris qu'elle éprouvait pour les autres créatures ? La peur qu'elle éprouvait ? Ce sentiment que les sirènes étaient craintes de tous ? Se rassurer ? Comprendre s'il représentait un danger pour elle ? Peu importe ce qu'elle cherchait au fond d'elle, d'autant qu'elle l'ignorait elle-même, il était absurde de poser ce genre de questions et aussitôt posée, elle le regrettait.

Astéria ne réussissait pas à imaginer comment les loups pouvaient rejeter leur propre peuple ? Une partie, du moins. Les semis restaient des loups, malgré leurs difficultés à contrôler leurs transformations. Pire encore, les semis étaient le résultat de l'égoïsme des purs sang. Alors comment pouvaient-ils les abandonner ? N'aurait-il pas été plus noble de leur part de leur venir en aide ? De les aider à surmonter les difficultés ? De les intégrer ? Astéria en arrivait à imaginer une situation similaire chez les sirènes. Si, chez elles aussi, il y avait pu avoir des semis, comment auraient-elles été acceptées ? Elle espérait, bien sûr, que les sirènes se comporteraient mieux tant les liens qu'elles entretenaient étaient forts. Malgré tout, elle avait ce petit doute au fond d'elle qu'elle préférait taire. Les tritons et les sirènes n'étaient pas comme les autres créatures. Elle les imaginait, les préférait supérieurs dans ce genre de situation. Ils n'étaient pas lâches. Elle l'espérait, tout du moins. A la réponse de l'homme, Astéria haussa les épaules. L'avenir pouvait-il réellement être sauvé ? Et elle ne parlait pas seulement de celui des loups, mais celui de l'île toute entière. Actuellement, l'île était en paix, mais pour combien de temps ? Les créatures pouvaient-elles vivre indéfiniment en paix les unes avec les autres ? La sirène en doutait. « Je l'espère. » répondit-elle alors simplement. Il semblait optimiste, ce qu'elle n'était pas du tout. Alors si elle voulait bien essayer de le comprendre, c'était assez difficile.

Finalement, au fil de la conversation, ils en arrivèrent à discuter de l'espèce d'Astéria. La sirène n'évoquait que très rarement son état. Elle n'était pas rassurée. Pas rassurée d'avouer qui elle était. Les préjugés sur les sirènes étaient nombreux. La plupart les décrivant comme des monstres tuant leurs victimes pour aspirer leur énergie vitale. Et ce n'était pas faux. Des sirènes faisaient ça. Astéria faisait ça. Et elle n'en était pas fière. Mais elle avait fait le choix entre vivre éternellement et mourir. Un choix difficile et lourd de conséquences. Choix qu'elle ne partageait évidemment pas, préférant se faire passer pour l'innocente créature qu'elle paraissait. Mais désormais, il savait qui elle était et il semblait plus compliqué de jouer l'innocente. Elle restait néanmoins douce et calme. Elle ne comptait pas l'attaquer. Astéria n'avait aucun endroit où se cacher et elle avait appris qu'il était un semi, soit un être qu'il ne fallait pas agacer. Alors à moins de trouver le moment idéal et sans danger pour elle, il n'était plus la proie idéale. De toute façon, avait-il déjà été la proie idéale ?

La sirène justifia alors sa venue sur ce territoire. Elle devait paraître suspecte ou alors les questions de l'homme étaient totalement innocentes. A vrai dire, elle n'était pas une grande habituée des relations alors elle était en permanence sur ses gardes, méfiante. Trop méfiante, peut-être. « Ne comptez pas sur moi pour la mettre potentiellement en danger. J'ignore qui vous êtes. Un nom et une espèce ne disent pas tout de vous. J'ignore ce que vous pourriez avoir contre nous. Alors, je ne répondrai pas à cette question. » Ce n'était pas la réponse la plus agréable à donner, mais elle restait agréable et polie. Elle se mettait en danger, c'était une chose. Elle refusait de mettre sa soeur en danger en expliquant ce qu'elle faisait, où elle travaillait ou elle ne savait quoi d'autre. En soit, répondre à la question n'était pas bien grave, mais elle avait compris qu'une question en entraînait une autre et ainsi de suite. Et elle pouvait oublier une information importante au fil de cette discussion, une information mettant en danger sa grande soeur. Et rien ne lui assurait que cet Erik ne ferait aucun mal à sa soeur, à une sirène.

Il lui semblait d'ailleurs clair que cet aveu avait changé quelque chose à leur échange. Il était toujours aussi gentil et poli, mais elle ressentait quelque chose qu'elle ne pouvait pas expliquer. Peut-être même qu'elle s'inventait cette chose parce qu'elle se mettait elle-même des barrières pour ne pas se lier aux autres créatures à cause de ses propres préjugés. La sirène n'en savait rien, mais ce sentiment lui faisait dire n'importe quoi. Ses craintes et ses questions, elle aurait dû les garder pour elle. Ce n'était qu'une occasion de plus pour Erik de douter de la raison de la présence de la sirène ou de la sincérité de cette dernière. Pourquoi craindrait-elle l'homme si elle n'avait rien à se reprocher ? La crainte qu'inspirait l'espèce des sirènes était-elle suffisante pour justifier les propres craintes d'Astéria ? Elle l'ignorait. « Au potentiel danger que je représente désormais pour vous. » répondit-elle sincèrement. Elle n'était jamais aussi sincère habituellement. Il éveillait chez elle quelque chose de nouveau : une envie de dire la vérité, de se livrer, de discuter et de laisser la curiosité s'installer. C'était étrange et effrayant à la fois. « Jusqu'à présent, je n'étais qu'Astéria, une inconnue qui venait vous aborder. Maintenant, je suis la sirène, un potentiel monstre, prête à vous séduire et vous attaquer. » développa-t-elle avec ce sourire qui montrait qu'elle comprenait, qu'elle avait l'habitude. Et comment lui reprocher de penser cela ? Elle était réellement cette chasseuse, elle l'avait réellement approché dans le but d'en faire son repas.

Alors elle reprit, expliquant qu'elle n'aurait pas dû avouer ce secret. Elle le savait habituellement, elle ignorait pourquoi cette fois-ci, elle avait tout dit aussi facilement. Elle, comme il le disait, elle ne le savait que trop bien. Elle savait son erreur. La sirène était stupide. Mais comment lui reprocher ce qu'il pouvait potentiellement ressentir à son égard désormais ? Elle-même avait craint cet homme en apprenant qu'il était un semi, même si comme lui, elle avait tenté de le dissimuler. Les espèces se craignaient mutuellement, et cela ne changerait sans doute jamais. « Oui. » souffla-t-elle simplement, lorsqu'il lui demanda si elle regrettait de l'avoir dit. Elle ne mentait pas. Elle le regrettait pour de nombreuses raisons : elle se mettait en danger, elle gâchait sans doute ses chances de l'attaquer, elle se sentait jugée... « Soyez rassuré, je ne vous attaquerai pas. Vous gagneriez sûrement alors ce serait stupide de me part. » Encore une fois, elle n'était pas capable, elle-même, d'expliquer pourquoi elle disait ça. C'était absurde, non ? Tentait-elle de se rassurer ? De le rassurer ? Etait-ce une plaisanterie ? Une façon de détendre l'atmosphère devenue trop lourde ? C'était la vérité, avant tout. Une vérité dangereuse que celle d'avouer ses faiblesses à un adversaire. Elle n'aurait pas l'avantage face à un semi qu'elle n'avait pas pu envoûter naturellement, sans véritable pouvoir à sa disposition et sans endroit où fuir, alors l'attaquer serait purement et simplement stupide. Mais lui dire était tout aussi stupide.  

Rencontres nocturnes

Erik Asulf φ Astéria Madsen

Astéria refusa de lui répondre. Décision étrange, car Erik se voyait poser une question innocente, classique comme on en poserait lors d’une première rencontre pour mieux connaitre la personne. Or, la sirène refusa, disant qu’elle ne voulait pas la mettre en danger. Pourquoi disait-elle cela ? Croyait-elle que le garou irait lui faire du mal ? Ayant avouer sa véritable nature, émettrait-elle des doutes sur sa sincérité et le prendrait pour un homme dangereux ? Ce ne serait pas la première fois. Comme on n’arrête pas d’en parler, les semi faisaient mauvaise presse pour leur espèce. En voir un qui désirait se contrôler et bien faire, devait paraitre singulier. Asulf comprenait, même si des fois, cela lui faisait un peu mal. Car il se disait que malgré tous les efforts du monde pour bien faire, beaucoup ne verront que le monstre sanguinaire indomptable en lui. Il se posa la question, est-ce que oui ou non ce semi en lui faisait partie de son être, une facette ou bien un parasite tellement il se trouvait différend l’un de l’autre. Ou alors il représentait sa part noire que tout le monde pouvait voir et éviter… Quoi qu’il en soit, Erik n’insista pas plus pour savoir des choses sur la sœur, laissant tomber ce sujet.

"Je n’ai rien contre une espèce en particulière, juste contre ceux prenant plaisir à menacer la vie d’autrui. Mais soit, je comprends et ne vous ennuierais pas plus avec ça."

Arrivant donc l’épisode de savoir si oui ou non on regrettait d’avoir avouer son espèce et si on aspirait la peur, surtout chez Astéria. Les sirènes non plus n’avait pas bonne presse. Mais en réalité, quelle espèce en avait une ? Chaque peuple avait une ou plusieurs raisons d’en vouloir et fuir son voisin. Que ce soit pour raisons du passé ou actuel. Erik n’était pas historien, mais il se doutait que tout le long de l’existence d’Arcadia, les nombreux peuples se sont tapés dessus. Pas forcément lors de grandes guerres, mais quelques « incidents » ont réveillés des hostilités entre les races. Au moins, on pouvait gouter à la paix, mais pour combien de temps. Un sage n’avait pas dit que la paix était une pause entre deux conflits ? Quelque chose comme ça. En tout cas, Erik fera de son mieux pour que cette pause dure le plus longtemps possible.

"Je suis désolé." Répondit-il alors quand la sirène disait le regretter. Peut-être qu’Asulf n’inspirait pas plus confiance que cela pour ce genre de confidence et ne mettait pas à l’aise. Peut-être un peu prétentieux aussi de penser cela, mais le détective voulait que les gens se sentent bien en sa présence, qu’ils ne voient pas un danger et n’ont donc aucune raison d’avoir peur.

"Visuellement oui, on pourrait penser que je gagnerais. Mais je ne me fis jamais au physique. Je suis sûr que dans un combat, vous avez quelques cartes cachés pour vous aider." Répliqua Erik avec un sourire espiègle.

Il était vrai que la stature du semi pouvait impressionner. Entrainer depuis son plus jeune âge, Erik était doté d’un corps de guerrier et il savait s’en servir. Plus d’une fois, la combinaison de ses capacités lycanthropiques et d’entrainement, l’ont aidé à mener et remporter une bataille. Mais il ne se reposait par sur ses prouesses physiques, ne s’enorgueillit pas comme un combattant de catch sur sa musculature. Plus d’une fois il l’avait appris, et parfois douloureusement, que l’apparence était trompeuse. Même une créature bien mince, pouvait cacher une redoutable puissance et qu’il fallait parfois user plus d’intelligence que de force pour vaincre quelqu’un.

Tout à coup, son oreille frétilla. Erik était comme en alerte, son regard mélancolique quitta la statue pour rechercher quelque chose dans l’épaisse obscurité de cette ville d’une autre temporalité. Il semblait même humer l’air, pas pour profiter de la fraicheur de la huit, mais comme s’il percevait une odeur particulière, ou en cherchait une. "Vous avez entendu ?" Même à cette heure, la vie nocturne en ville pouvait être bruyante. Mais quand on avait l’ouïe affutée d’un loup, certains sons sont bien plus perceptibles que d’autres. Asulf était sûr d’avoir perçu quelque chose. Pas juste un bruit éphémère pouvant être n’importe quoi, car il l’entendit de nouveau et de manière irrégulière.

"Je dois vous laisser désolé. Merci beaucoup pour cet échange j’ai apprécier et soyez prudente en rentrant vous et votre sœur."
Il voulait exprimer un visage apaisant et cordiale, mais la crainte se lisait sur son visage. Ce n’était pas une peur liée à Astéria et aux sirènes, mais à tout autre chose qui était en train de se passer maintenant et qu’Erik se pressa d’aller confronter.

Méphi.

RP:

Cela pouvait paraître surprenant, Astéria en avait conscience, mais elle refusait de donner des informations sur sa soeur. Cet homme, elle le connaissait depuis quelques minutes seulement, elle ignorait tout des secrets qu'il pouvait cacher. Il pouvait être un chasseur, détester les sirènes... Elle n'en savait rien. Les créatures, ici, ne disaient pas tous ce qu'elles étaient. Alors Astéria ne prendrait pas la décision pour Nérina. Si cette dernière voulait parler d'elle et de son espèce, elle le faisait. Ce n'était pas à la plus jeune de dévoiler l'identité de Nérina. Lorsque le semi répondit, Astéria voulut répondre, mais rien ne sortit. Elle se contenta alors de baisser les yeux. Il comprenait et n'insistait pas, c'était déjà ça. En revanche, il aurait tout intérêt à s'en prendre à Nérina, à Iaéra, à Astéria ou au reste de sa fratrie. Ils menaçaient tous la vie des autres par leurs choix de vie, même s'ils ne le faisaient pas par plaisir. Mais autant ne rien ajouter pour ne pas dire de bêtises sur sa véritable nature ou sur le danger qu'elle représentait.

Astéria regrettait clairement son aveu. C'était un aveu qu'elle ne faisait pas habituellement. La sirène restait secrète. Par choix. Par peur d'être jugée. Par peur d'être vue comme une menace. Par peur d'être attaquée. C'était également pour ça qu'elle n'avait jamais cherché à se faire des amis chez les autres espèces. A quoi bon ? Elle paraîtrait toujours une menace à leurs yeux, menace qui pouvait les ensorceler à n'importe quel moment. Autant les maudire et les haïr, c'était une vie plus simple quelque part. Elle ne connaissait pas la déception et la peine de voir ses amis lui tourner le dos en apprenant sa véritable nature ou en connaissant ses choix de vie. « Vous n'y êtes pour rien. C'est moi qui ai été stupide de répondre. » précisa la brune lorsque l'homme s'excusa. Il avait posé la question, soit, mais elle avait pris la mauvaise décision d'y répondre. Il ne lui avait pas mis un couteau sous la gorge pour obtenir une réponse. Elle avait pris sa décision seule, comme une grande. Et elle devait assumer les retombées, le comment cet homme la regarderait maintenant ou ce qu'il penserait d'elle. Parce que, selon elle, il était évident que savoir qu'elle était une sirène changeait tout.

Parce que cet homme la poussait à faire des aveux sans qu'elle ne puisse comprendre pourquoi, elle l'informa qu'elle ne l'attaquerait pas. Il s'agissait pourtant bien de son but premier, mais elle avait compris qu'elle ne ferait pas le poids. Il avait une force plus importante que la sienne, de meilleurs réflexes sans doute et pouvait se transformer en une bête sanguinaire. Au mieux Astéria pouvait se transformer en sirène, mais sans eau à côté d'elle, elle se condamnait à une mort certaine. Elle pouvait toujours aspirer toute vie en lui, mais pour cela, faudrait-il encore qu'elle puisse l'atteindre et le tuer. Ce n'était pas chose simple si son charme ne faisait pas effet et si elle n'était pas capable de le séduire. Il l'arrêterait aussitôt qu'elle se serait jetée sur lui pour le tuer. Et puis, réalistement, jamais elle ne pourrait le tuer de ses mains. Elle n'avait pas suffisamment de force. Mais pourquoi lui préciser qu'elle n'allait pas l'attaquer parce qu'elle ne ferait pas le poids ? Elle se mettait elle-même en danger en montrant ses faiblesses. Il fallait qu'elle reste méfiante, elle ne pouvait toujours pas être certaine de qui était vraiment cet inconnu. Sa réponse la fit sourire, tout comme le sourire qu'il avait aux lèvres tout en lui répondant. Il s'amusait de la situation plutôt que de la rejeter ou de la juger. En tout cas, s'il la jugeait, il ne le montrait pas. « Les sirènes n'ont pas la chance de posséder une force décuplée et sur terre, mes talents ne me servent pas à grand chose. Disons que je pourrais vous battre si nous combattions dans l'Océan. » Malheureusement, l'Océan n'était pas tout à côté. Ici, ses dons étaient inutiles. Ou presque.

Tandis qu'Astéria se détendait légèrement de nouveau après cet aveu, l'homme sembla interpellé par quelque chose. Il semblait changer tout à coup, cherchant quelque chose des yeux, restant sur ses gardes. Il demanda alors si la sirène avait entendu. Elle tenta de se concentrer sur un éventuel bruit durant une seconde ou deux, mais elle n'avait rien entendu et n'entendait toujours rien. « Non. Quoi ? » demanda-t-elle, se rendant compte qu'elle chuchotait presque, effrayée par le comportement soudain de l'homme. Ce n'était pas lui qui lui faisait peur, mais ce qu'il avait bien pu entendre et la crainte qu'elle lisait en lui. Erik reprit presque aussitôt en expliquant qu'il devait partir, ajoutant de faire attention et d'être prudente. Il comptait vraiment la laisser ici, seule, sans une explication ? Si Astéria détestait les autres créatures, la compagnie d'Erik semblait préférable à la solitude. Elle semblait préférable parce qu'elle avait peur d'être seule sans connaître le danger qui pouvait potentiellement l'entourer. Elle ne retrouverait pas sa soeur avant plusieurs heures et elle n'avait nulle part où aller en attendant.

Surprise par ce départ soudain, la sirène ne répondit rien, le regardant d'abord s'en aller. Elle restait sur place quelques secondes, l'observant partir et jetant des coups d'oeil partout autour d'elle. Elle avait maintenant l'impression de voir le danger partout et d'entendre du bruit venant de partout. Et même si ça ne sortait que de son imagination parce qu'elle avait peur d'être sur un territoire inconnu, seule, en pleine nuit, après ce qu'il venait de se passer, elle ne voulait plus rester ici. La sirène se décida alors à suivre les pas de l'autre homme, espérant retomber rapidement sur lui. Après tout, il ne devait pas être bien loin, si ? Avait-il fui un quelconque danger ou l'avait-il approché ? Difficile à savoir. En avançant, Astéria l'aperçut rapidement et s'approcha peu à peu. Elle tentait d'être silencieuse et elle gardait une bonne distance, cachée pour ne pas se faire voir. Elle observait la scène comme elle le pouvait malgré l'obscurité. Durant une seconde, son esprit lui indiqua qu'Erik était dangereux et qu'il attaquait quelqu'un. Cette idée la quitta bien rapidement parce qu'elle ne pouvait y croire. S'il avait dû être ce genre de personne, il l'aurait attaqué elle. Non ? Alors, l'évidence lui vint. Il n'attaquait pas. Il défendait. C'était donc vraiment ce genre de type qu'elle avait failli tuer ? Son instinct avait été pire que tout sur ce coup-là.

La sirène hésita un instant à l'aider, mais pourquoi ? Elle n'était pas ce genre de personnes. Elle ne venait pas en aide aux gens, sauf s'il s'agissait de sa famille. Ces créatures lui faisaient peur. Elles étaient dangereuses et ne représentaient rien pour la sirène. Pourtant, elle ne pouvait pas s'empêcher de rester là, cachée dans son coin, à observer et espérer que tout se finisse bien et que personne ne fasse attention à elle. C'était donc ça de se préoccuper des autres, peu importe leur espèce ? Il existait donc de bonnes créatures, prêtes à aider ? C'était évident, mais Astéria avait toujours refusé cette idée, persuadée que toutes les autres espèces étaient des dangers potentiels et rien d'autres.

Spoiler:

Au départ, Astéria ne devait que rejoindre sa soeur qui travaillait pour rentrer avec elle à Atlantide. Puis, un empêchement avait fait qu'Astéria devait l'attendre plusieurs heures. Puisque la route jusqu'à Atlantide était plutôt longue, la sirène avait décidé d'attendre à Braedon malgré ses craintes et ses appréhensions. Finalement, elle avait aperçu cet homme au regard sombre et tout en elle lui disait qu'il était la future proie idéale. Son instinct la trompait rarement alors elle s'était dirigée vers lui pour engager la conversation. Astéria avait fait tout ce qu'elle ne faisait pas habituellement : ne pas avoir de plan de secours, ne pas avoir de solution de repli, ne pas connaître sa cible, ne pas se méfier suffisamment... Habituellement, elle n'approchait une proie qu'après enquête. Habituellement, elle n'approchait pas vraiment les autres créatures, seule, sur un territoire qu'elle connaissait peu et encore moins lorsqu'elle était tant éloignée de l'océan. C'était trop dangereux. Elle devenait une proie trop facile. Les sirènes n'avaient pas la chance de posséder une force surhumaine ou un quelconque pouvoir permettant d'avoir le dessus sur les autres créatures. Elle possédait simplement ce que la nature lui avait offert pour séduire, manipuler et tuer. Mais pour cela, fallait-il encore qu'elle puisse approcher de suffisamment près ses victimes et que ces dernières ne ripostent pas.

Finalement la rencontre se termina par des regrets, regrets formulés par la sirène. Elle avait fait l'erreur, selon elle, d'avouer sa nature. Elle sentait le jugement, la peur. Jugement et peur peut-être totalement injustifiées, inexistantes. Mais c'était toujours ce qu'elle imaginait chez les autres créatures. Elle n'imaginait pas que d'autres puissent l'accepter. Comment pourraient-ils quand elle ne s'acceptait pas vraiment elle-même ? En revanche, elle avait pu apprendre que toutes les créatures n'étaient pas les monstres qu'elle s'imaginait. Cet homme ne semblait pas en être un. Il suffisait de l'écouter, d'entendre ce qu'il disait. Il espérait la paix entre les créatures. Il semblait vouloir aider. Il ne pouvait pas être un monstre. Ou alors il jouait très bien son petit numéro. Ce qui n'était pas non plus totalement impossible.

L'homme disparut rapidement, après de rapides adieux. Soit, il se passait vraiment quelque chose, soit il n'avait pas su comment partir. Astéria était curieuse. Prudente, habituellement. Cette fois-ci, sa prudence lui indiqua qu'il n'était pas bon pour elle de rester seule ici. Et sa curiosité lui indiqua qu'elle devait le suivre pour comprendre. La sirène ignorait si elle le retrouverait, mais elle tenta sa chance, s'avançant là où elle l'avait vu partir. A force, par chance ou par pur hasard, elle l'aperçut au bout d'une ruelle. Astéria ne s'avança pas. Elle préférait rester cacher et observer la scène. Il semblait défendre quelqu'un contre une autre créature. Une femme semblait être en mauvaises postures, sans doute avait-il voulu la défendre ? Il était difficile d'y voir clair dans l'obscurité. Les deux créatures semblaient s'affronter. Astéria imagina un instant intervenir, mais pour faire quoi ? Et comment ? Et puis, il s'agissait de créatures qui avaient sans doute mérité tout ça. Pourquoi risquerait-elle quoi que ce soit pour eux ?

Alors elle restait plantée là, cachée. Elle aurait pu faire demi-tour, après tout rien de tout ça ne la concernait. Pourtant, elle restait, elle observait. Le semi semblait recevoir des coups, n'était-il pas plus fort que ça ? Il en avait esquivé, si elle voyait correctement, mais elle ne s'attendait pas à ça. Puis le cri qu'il poussa la fit reculer, se cachant complètement, détournant les yeux un instant de cette scène. Il était bien le monstre qu'elle imaginait. C'était ce qu'elle se disait durant un instant avant de se rendre compte que c'était injuste. Elle-aussi pouvait changer, lorsqu'elle était ainsi avec deux jambes, elle n'était pas vraiment elle. Alors sa transformation était moins monstrueuse - à ses yeux - mais c'était la même chose. Le semi plaqua alors l'autre créature contre le mur. Allait-il le tuer ? Si cet homme avait agressé quelqu'un, alors il était la proie dont Astéria avait besoin. Il était ce dont elle avait besoin. Et c'était sans doute cette envie qui la poussa à s'avancer dans cette ruelle.

Avant même de comprendre sa bêtise, elle se trouvait à quelques pas des deux créatures. Décidément, ce soir, elle ne se reconnaissait pas elle-même. Elle n'était pas du genre à se mettre tant en danger, à prendre des risques, à s'approcher d'autres créatures ainsi... Non, elle aurait dû prendre la fuite ! Pourtant, maintenant qu'elle était là, elle ne pouvait plus faire demi-tour et si elle pouvait récupérer cette proie pour elle, maintenant que le semi avait fait une partie du travail, elle n'était pas contre. « Ne faites pas ça Erik. » sa voix était faible parce qu'elle était effrayée et parce qu'elle ne comprenait pas elle-même ce qu'elle était en train de faire. Que cherchait-elle ? Etait-il vraiment raisonnable de s'adresser à lui lorsqu'il était dans un tel état ? Physiquement, il ne ressemblait plus à l'homme avec qui elle parlait quelques minutes plus tôt. Maintenant il ne ressemblait plus qu'à une créature effrayante. « Vous n'êtes pas ce genre d'homme. » Quel genre ? Celui à tuer une autre créature ? Comment pouvait-elle le savoir, après tout elle ne savait rien de lui. Peut-être qu'en réalité, c'était une chose qu'il faisait régulièrement. Pourtant, quelque part, elle sentait qu'elle avait raison, qu'il n'aimait pas blesser ou tuer.

Elle s'approcha un peu de sorte à n'être qu'à quelques pas d'eux, combattant sa propre peur, espérant qu'il soit capable de garder le contrôle, chose qu'elle avait beaucoup de mal à croire tant elle n'avait aucune confiance aux autres créatures. « Vous n'êtes pas obligé de faire ça vous-même. Je peux l'affaiblir sans le tuer... » lui-aussi en avait les moyens, il suffisait de laisser la bête parler et agir. Mais pour elle, il suffisait d'aspirer son énergie, elle pouvait en aspirer suffisamment pour l'affaiblir durant plusieurs jours, sans le tuer. C'était si simple, elle n'avait pas besoin de le blesser physiquement, son venin ferait effet tout seul. « ou je peux... si c'est ce que vous souhaitez... Je peux le... tuer. » c’était une confidence bien dangereuse pour elle qui disait ne représenter aucun danger. Ce n'était pas faux après tout, elle n'avait pas menti. Face à un semi en pleine forme, elle ne faisait pas le poids parce qu'elle était incapable de l'atteindre sans être blessée ou repoussée. Là, c'était différent. Le métamorphe était déjà sous contrôle. Elle ne voulait pas perdre cette proie, c’était une trop belle occasion. La sirène essayait de se rassurer en se disant que tuer ou affaiblir un monstre, ce n'était pas mal. Pas autant que tuer ou blesser un innocent. Cet homme méritait sans doute son sort. Alors même si elle laissait Erik choisir son destin, parce qu'elle craignait ses réactions si elle s'interposait directement pour lui voler cette proie, elle ferait tout pour la récupérer.

Pourquoi s'approcher ? Pourquoi tenter de le raisonner ? C'était stupide ! Cet homme, elle ne le connaissait pas. Cet homme pouvait être n'importe qui et réagir n'importe comment. Elle ne pouvait lui accorder aucune confiance, moins encore maintenant qu'il s'était transformé en loup. Ses réactions devaient être plus imprévisibles encore, son contrôle limité et sa dangerosité augmentée. Il représentait la plus grande menace entre les deux créatures qui étaient à ses côtés. Sans doute aurait-il été préférable qu'elle oublie cette histoire et qu'elle parte. Ou qu'elle attende le sort réservé au métamorphe ? La solution pour laquelle elle avait opté était la plus stupide. Le raisonner. Décidément, elle ne comprenait pas cette décision, ni beaucoup d'autres prises ce soir. Il n'y avait plus qu'à espérer plusieurs choses : que le Erik humain soit capable de prendre le dessus sur le loup et qu'il soit capable, un minimum, de se contrôler.

Astéria avait peur. Prétendre le contraire n'aurait été que mensonge. Elle était même morte de peur. Mais son envie d'avoir une proie ce soir pour se débarrasser de cette corvée était plus forte que le reste. Une proie déjà affaiblie, facile d'accès. Une proie qui avait mauvais fond, comme elle aimait. C'était comme si ce métamorphe était un cadeau tombé du ciel. Sauf que le semi se trouvait sur son chemin - et heureusement puisqu'il avait fait une bonne partie du travail. Puis, même si elle refusait de se l'avouer, elle imaginait réellement qu'il n'était pas ce genre d'homme, celui à aimer ôter la vie. Alors si elle pouvait lui épargner cette peine, elle le ferait. Sauf qu'elle refusait de l'admettre. Il était trop difficile pour elle d'accepter que d'autres créatures puissent être bonnes et mériter quoi que ce soit. La sirène ne se comprenait plus elle-même et c'était sans doute cela qui l'empêchait de réfléchir logiquement.

Alors, elle se rapprocha et se proposa pour s'occuper du coupable. Après tout, elle avait la possibilité de l'affaiblir. Ou de le tuer, si c'était ce qu'Erik voulait. Le choix lui revenait puisqu'il était celui qui était en position de force. Elle n'allait ni discuter ni débattre avec une créature qui avait des pouvoirs qu'elle ne possédait pas. Ce serait complètement stupide. Lorsqu'elle lui proposa de s'occuper elle-même de la créature en lui donnant deux possibilités, elle ne bougea plus. Inutile de le presser ou de se montrer trop insistante. Elle observait la scène, attendant simplement la réponse. La créature fixa le métamorphe avant de le relâcher, le jetant devant Astéria, tout en grognant. Si la proie n'était pas si facile d'accès, sans doute se serait-elle enfuie parce qu'elle ne se sentait pas de taille face à une autre créature alors qu'elle n'était pas dans son élément.

La réponse du semi était claire, il était inutile d'argumenter pour le tuer. Elle ne souhaitait, en aucun cas, le mettre en colère ou lui donner des raisons de la voir comme un danger. D'autant plus qu'elle devait sans doute déjà représenter un danger de par sa nature. « Tu n'imagines pas la chance que tu as... » souffla Astéria à la créature en se baissant à son niveau, ne se souciant pas du fait qu'Erik puisse l'entendre. Et il en avait de la chance parce qu'il aurait pu finir déchiqueté par Erik, d'une part et d'autre part, si Astéria l'avait rencontré près de l'Océan, il n'aurait pas eu la vie sauve, elle l'aurait emporté dans les profondeurs pour le noyer et le tuer. Alors il avait plus que de la chance d'échapper à ce destin pourtant totalement mérité aux yeux de la sirène.

Pour aspirer toute l'énergie d'une créature, il fallait que la sirène la tue d'une quelconque façon. Elle pouvait utiliser n'importe quelle méthode dont lui injecter son venin en le mordant. Pour l'affaiblir, elle pouvait le blesser, lui injecter du venin ou simplement le toucher et aspirer autant d'énergie que possible tout en lui laissant la vie sauve. Toutes les méthodes avaient des avantages et des défauts. Comme elle n'avait rien pour blesser la créature et qu'elle était déjà affaiblie, cette option s'effaça automatiquement de l'esprit de la sirène. Il lui en restait alors deux : simplement aspirer la vie qu'il y avait en lui en le touchant ou le mordre. Si elle préférait la dernière option parce que c'était une méthode plus rapide et plus douloureuse, elle se força à ne pas le faire. C'était, à ses yeux, montrer à quel point elle était un monstre. Alors, comme la tâche était facilitée par le fait qu'il soit déjà affaibli et qu'il ne pouvait donc pas la repousser, Astéria se contenta de poser une main de chaque côté du visage de la créature pour aspirer un maximum d'énergie en lui, lui en laissant suffisamment pour vivre. A aucun moment elle ne releva les yeux, ne souhaitant pas croisé celui de l'autre créature de crainte d'y lire du dégoût. La sirène remarqua simplement du coin de l'oeil qu'il reprenait forme humaine tandis qu'elle en finissait avec le métamorphe. « Si j'apprends que tu as recommencé, je te retrouverais et je te tuerais. » la menace était claire, mais elle souhaitait lui faire peur. Entre le semi et la sirène, le métamorphe serait, elle l'espère, suffisamment effrayé pour ne pas recommencer aussitôt.

La sirène avait fini par se relever, observant Erik un instant, essayant de lire quoi que ce soit dans son regard. La trouvait-il affreuse ? Monstrueuse ? Après tout, il avait vu une partie de ce qu'elle pouvait être comme elle avait vu une partie de ce qu'il était. Pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de se dire qu'il la jugerait. « Il restera affaibli durant plusieurs jours. » l'informa-t-elle comme pour signifier qu'elle avait bien fait ce qu'on lui avait demandé. La créature ne pourrait plus rien faire pendant des jours, hormis attendre que ses forces reviennent. « Vous allez bien ? Vous êtes blessé ? » demanda-t-elle finalement en l'observant un peu mieux, remarquant qu'il semblait... fatigué ? La transformation était-elle donc si épuisante ?

Finalement Astéria observa les alentours et se rendit compte que n'importe qui aurait pu les voir d'une fenêtre ou en passant devant la ruelle. L'inquiétude la submergea à l'idée que quelqu'un puisse l'avoir vu, puisse savoir ce qu'elle était, puisse lui causer des problèmes. Après tout, n'avaient-ils pas l'air, tous les deux, des deux coupables ? Aux yeux de quelqu'un qui n'avait pas vu toute la scène, certainement qu'ils paraissaient l'être, en effet. Et ce pauvre métamorphe ressemblait désormais davantage à une victime. « On ne devrait pas rester ici... Si quelqu'un m'a vu faire... ça... nous a vu... La garde pourrait croire que nous sommes les agresseurs... » Parce que c'était l'impression que cela donnait. Alors oui, Astéria voulait quitter cet endroit au plus vite, effrayée à l'idée d'avoir des problèmes pour ce qu'elle venait de faire.

Astéria avait fait ce qu'on lui avait demandé - et ce qu'elle avait cherché qu'on lui demande. L'énergie qu'elle avait absorbé lui permettrait de conserver son âge actuel durant des semaines, cessant ainsi tout vieillissement. En échange, elle avait donc aspiré la vie d'une autre créature, s'arrêtant juste à temps pour ne pas la voir mourir. La sirène pourrait utiliser cette méthode à chaque fois, affaiblir sans jamais tuer, ainsi elle se trouverait peut-être moins monstrueuse, mais c'était prendre le risque d'avoir un nombre incalculable de victimes à sa recherche pour la tuer et se venger. Certaines sirènes trouvaient des volontaires, des proches, des gens qui les aimaient suffisamment pour se laisser aspirer un peu d'énergie volontairement, permettant ainsi aux sirènes de vivre sans tuer et sans blesser d'innocents. Ce n'était pas le cas d'Astéria. Alors elle se nourrissait comme aujourd'hui - bien qu'habituellement, elle ne laissait pas de survivant, ou peu - en attaquant des créatures qui le méritaient.

La sirène avait fini par se redresser, adressant quelques mots au semi après l'avoir observé. Astéria haïssait les autres créatures plus que tout parce qu'elle les trouvait effrayantes et dangereuses, parce qu'elle les trouvait imprévisibles et violentes, mais aussi parce qu'elle craignait de s'attacher à quelqu'un, de se faire des amis et de lire du dégoût dans leurs regards, de la peur. Elle supposait sans savoir que chaque créature voyait un monstre en elle, un monstre qui aspirait la vie pour prolonger la sienne. Alors elle s'attendait tout naturellement à lire ça chez Erik, mais elle ne décela rien. La jeune femme se contenta alors d'expliquer que sa victime resterait affaiblie plusieurs jours. Elle ne pouvait pas être plus précise, cela dépendait de bien trop de choses. Astéria l'avait affaibli autant qu'elle le pouvait, sans doute ne retrouverait-il pas l'ensemble de ses forces avant, au moins, une dizaine de jours. Peut-être plus, peut-être un peu moins. Mais une chose était certaine, actuellement, il ne pouvait plus rien faire, aussi faible qu'un mourant, il resterait ici jusqu'à ce que quelqu'un le trouve.

La sirène reposa son attention sur le semi, l'observant plus attentivement. Elle ne remarquait aucune blessure, mais cela ne voulait rien dire, après tout, elle avait vu les coups. En revanche, il semblait fatigué. Résultat, certainement, de sa transformation. Sa transformation en humaine, lorsqu'elle quittait l'océan, ne provoquait aucune douleur ni aucune fatigue chez la sirène, mais c'était bien différent, il était impossible de comparer. Il la rassura, précisant simplement que le métamorphe avait une bonne droite. « Je suis désolée de ne pas être intervenue plus tôt. » s'excusa la sirène qui avait assisté à toute la scène sans intervenir, observant simplement de loin, refusant de se mêler de toute cette histoire avant qu'elle ne devienne intéressante pour elle. Elle culpabilisait, chose rare dans ce genre de situation où elle trouvait normal, en temps normal, de ne pas agir pour défendre des créatures dont elle se fichait complètement. Peut-être que son intervention n'aurait rien changé, peut-être que ça aurait donné une toute autre fin à cette histoire, elle n'en savait rien. « Ne me remerciez pas. » Parce qu'elle ne le méritait pas, elle n'avait rien fait, hormis profiter d'une créature affaiblie, créature dont elle avait besoin. Elle avait laissé Erik faire tout le travail et elle l'avait empêché de tuer la créature simplement par intérêt, et elle refusait de croire à toute autre raison.

Le temps n'était plus à la discussion, Astéria remarqua que la véritable victime avait disparu et il lui vint en tête qu'ils avaient pu être vus. Astéria ne souhaitait pas s'attarder ici, craignant de voir la garde débarquer ou des amis du métamorphe. Ils semblaient coupables tous les deux et elle ne voulait risquer aucun problème. Ce n'était pas son territoire ici, elle était loin de l'Océan, tout cela représentait un véritable danger à ses yeux. Erik confirma ses craintes, affirmant qu'il entendait des pas venir vers eux. Le coeur d'Astéria se mit à battre plus fort, la crainte de se faire prendre était plus forte que tout. Elle fut incapable d'ajouter quoi que ce soit, Erik l'entraîna loin de ceux qui se dirigeaient vers eux. Elle restait silencieuse, autant qu'il était possible de l'être, suivant le semi. Elle, elle ne connaissait pas ces lieux et elle était incapable de savoir comment fuir ce genre de situation. Ses victimes, elle les faisait sur le territoire des sirènes en général, en sécurité.

Ils traversèrent des petites rues, des ruelles et se retrouvèrent finalement cachés derrière des caisses de bois, dans une ruelle. Astéria ne trouvait pas la cachette suffisante, mais pour elle, une seule chose suffirait à la rassurer : l'océan. Et s'ils se faisaient prendre ? Que risquerait la sirène ? Il lui fallait retourner sous l'océan, elle ne pouvait pas rester plusieurs jours ici à devoir se justifier et se défendre. « Cela va suffire ? » chuchota la sirène, en parlant de leur cachette. « Que feront-ils, s'ils nous trouvent ? » Parce qu'Astéria n'avait jamais eu à faire à la garde, parce qu'elle fréquentait bien trop peu Braedon et elle ne connaissait de ce lieu que ce qu'elle avait entendu, les rumeurs. La garde les croirait-elle facilement ? Aux yeux d'Astéria, la garde avait sans doute les mêmes à priori sur les sirènes que tous les autres. Elle était la coupable idéale. Le semi aussi devait sans doute représenter le coupable idéal. Elle était clairement morte de trouille. Elle, elle ne pouvait rien entendre, elle ne pouvait savoir s'ils étaient en sécurité ou non. Parler était sans doute la pire chose à faire, mais cela la rassurait un peu. L'obscurité envahissait toute la ruelle, la garde les cherchait peut-être, alors elle supposait avoir le droit d'avoir peur. « Je dois vous confier quelque chose : je suis morte de peur. » partagea-t-elle en tentant de le regarder malgré l'obscurité, un sourire inquiet aux lèvres. Elle se sentait soulagée en partageant ce fait. Bien sûr, cela ne changeait rien, mais il le savait, au moins. Jamais Astéria ne s'était retrouvée dans une telle situation - et elle se maudissait d'avoir abordé cet inconnu désormais - elle ignorait donc ses réactions, tout ce qu'elle pensait savoir était qu'il ne devait donc pas compter sur elle.