The visit [PV Juliana Ruewen]

Il n'aimait pas s'aventurer hors des frontières du Royaume des elfes, et encore moins de celles de Woodpine, mais il n'avait plus vraiment le choix. Il n'avait pas caché son choc et sa surprise d'apprendre que sa sœur avait prise la poudre d'escampette, de toutes les personnes de la famille, Juliana était selon lui la moins susceptible de faire une telle bêtise de son propre chef. Sa première théorie avait bien entendu été de penser qu'un voyageur quelconque l'avait embarqué dans une quelconque aventure, elle n'avait jamais été la personne la plus méfiante qui soit, contrairement à lui. Bien sûr il avait tenté de rassurer leurs parents immédiatement, prétextant qu'elle avait dut aller chez des amis en taisant ses propres doutes. Il fit immédiatement marcher ses divers contacts, posant moults questions avant de finalement trouver ce dont il avait besoin : Julianna se trouvait à Braedon. Un lieu aussi cosmopolite était en effet comme destiné à attirer telle des papillons par la flamme une jeune elfe désireuse de voir le monde. Les semaines étaient déjà passées le temps qu'il ait cette information, car bien sûr sa sœur avait pris tout objet qui aurait permis à son frère de plus facilement retrouver sa trace, elle et lui devraient avoir une discussion sérieuse une fois qu'il lui aurait mis le grappin dessus.

Le voyage avait été éprouvant, quitter les magnifiques bois des elfes pour traverser ces terres aurait fait mal à n'importe quel amoureux de la nature telle que les elfes se la représentait. Aucun peuple ne dominant les lieux, personne ne s'occupait réellement de quoi que ce soit et les magnifiques Bois Eternels ne trouvaient dans les locaux que de pâles cousins mal apprêtés, un peu comme le paresseux cousin Iliviel quand on le comparait à lui. Outre le spectacle peu glorieux de cette nature un peu fade, il fut rapidement mis en face de ce qui se voulait la capitale neutre du monde. De la pierre, encore de la pierre et quelques géraniums enfermés dans des pots, la perle du monde civilisé selon certains, un phare dans l'obscurité régnante d'une guerre qui approchait. Lui aurait volontiers fait remplacer ça par un jardin, mais ça ne regardait évidement que lui. Le pire dans tout ça restait bien sûr qu'il n'avait aucun contact ici, retrouver sa sœur redevenait donc un jeu de piste, un jeu cruel ou une sinistre nouvelle pouvait l'attendre à chaque tournant.

Car ce sentiment ne le quittait pas, l'angoisse profonde que quelque chose puisse arriver à sa sœur, dans un monde bien trop dangereux pour qu'on y laisse trainer seul qui que ce soit d'aussi inconscient de ses dangers. Il n'y avait qu'à voir certains des groupes armés qui se baladaient en ville pour comprendre qu'il suffirait d'une étincelle pour se retrouver au milieu d'une bagarre et d'y prendre un mouvais coup, car ce n'étaient pas leurs poings que ces gens utiliseraient pour se battre, mais bien le fer qui ornait leurs flancs. Il lui fallut une semaine de plus pour avoir quelque chose de pertinent, sa sœur était toujours ici, la piste se réchauffait. Il entama de suivre le maigre fil jusqu'à la fameuse "Auberge des Voyageurs", mais elle n'était plus là, la prochaine étape semblait la Grande Place. Il s'y dirigeât donc, enveloppé dans sa cape de voyage kaki, le visage camouflé sous un capuchon, son arc composite en bandoulière. Il y avait foule même si ce n'était pas le marché, l'endroit semblait un lieu de rencontre assez populaire, mais il n'était pas ici pour faire la causette. Il était ici pour ramener sa sœur chez elle, parmi les siens, loin de cette foule bruyante et repoussante.

Il la repéra rapidement, sa chevelure blonde brillant de milles feux sous les rayons du soleil local et son visage harmonieux impossible à confondre avec un autre. Elle semblait seule, ce qui signifiait au moins qu'il n'aurait pas à faire peur à un quelconque inconnu pour procéder et repartir rapidement de cet endroit. Il fendit la foule avec agilité, ses pieds le transportant avec souplesse entre les corps de cette masse vivante, il sentait déjà sa colère contre les lieux s'effacer à mesure qu'il approchait de sa sœur. Sa main trouva son épaule et il retira sa capuche alors qu'elle se retournait, son regard sévère la toisant avec une absence notable d'humour, sa mâchoire un peu tendue.

-Je vois que tu t'amuses bien Juliana, j'espère que ce lieu ne te tient pas trop à coeur, nous rentrons. Père et Mère sont morts d'inquiétudes.

Lui aussi, mais ça il n'allait pas le dire.

Juliana se retrouvait à nouveau à Braedon, c’était toujours sur ce territoire qu’elle revenait, elle ne restait pas forcément longtemps dans les autres royaumes, sans doute, car ça pouvait devenir vite dangereux. Après, elle n’avait pas eu l’occasion de tout visiter, elle était encore réticente à se rendre seule dans certains royaumes. Elle savait être raisonnable et jouer les imprudentes n’arrangeraient pas les choses, elle ne voulait pas mourir tout de suite, en fait ne pas mourir tout court ce serait plus correcte. Elle avait décidé de sortir sur la grande place, il y avait beaucoup de monde, même si ce n’était pas le marché. D’ailleurs elle avait eu l’occasion de visiter le marché, et elle avait fait quelques emplettes, heureusement qu’elle avait une bonne bourse avec elle. De plus, de temps en temps, elle rendait service, donc gagnait un peu d’argent. Il y a quelqu’un, elle avait joué les serveuses à l’auberge, un métier qu’elle ne connaissait pas. Pourtant, elle s’en était bien sortie, il faut dire que la jeune elfe était agile, c’était un plus, elle avait même dit qu’elle serait prête à recommencer et qu’on pouvait la contacter sur son cristal. Autant elle ne répondait pas toujours surtout quand c’était des gens qu’elle pouvait éviter, mais sinon elle décrochait. Elle sursauta quand quelqu’un toucha son épaule et se retourna, elle fut surprise de voir de qui il s’agissait quand il retira sa capuche, elle ne s’attendait pas à le voir. Elle sentait venir la prise de tête, il faut dire qu’elle ne lui avait pas donné de nouvelles depuis son départ. « Bonjour Alwin, moi je suis contente de te voir. » Elle avait dit ça de manière sarcastique, car elle n’avait pas aimé cette manière qu’il avait eut de l’aborder. « Désolé de te décevoir, mais je n’ai pas l’intention de rentrer, je suis une adulte et je fais ce que je veux. » Cette attitude de grand frère, au fond, elle aurait aimé que ce soit son meilleur ami qui la trouve, même si c’était un peu paradoxale vu qu’elle l’évitait. « J’ai contacté nos parents, je leur ai juste dit de ne pas te prévenir, car étrangement, je savais que tu partirais à ma recherche. » En effet il y avait un petit moment, elle avait appelé ses parents pour ne pas trop les inquiéter, et elle leur avait bien dit de ne pas le crier sur tous les toits. « D’ailleurs c’est étonnant que tu sois ici, toi qui aimes tant rester à Woodpine, avec ces coutumes sans aucun sens. » Après tout, elle, c’était le vilain petit canard, qui ne rentrait pas les rangs, mais elle s’en fichait.

Ses dents se serrèrent, sa mâchoire se contracta, ses pupilles se rétrécirent, le calme avait vite laissé la place à la tempête dans son esprit. Julianna n'était pas seulement sa sœur, elle était la personne la plus importante dans sa vie, une personne capable d'obtenir ce qu'elle voulait de lui. Sa réponse l'avait frappé avec la violence d'un tabassage en règle, il était resté coi, choqué au delà des mots, il avait toujours sut lire dans sa sœur comme dans un livre ouvert, il pouvait voir sa colère, sa déception. Elle le rejetait comme si il n'était rien, et ça le tuait aussi sûrement qu'un coup de lame mal placé. Il recula d'un pas et détourna immédiatement le regard comme un chien qui aurait pris un coup de pied de son maître. Mais il ne voulait pas succomber à l'énervement qui tentait de le prendre, il en était incapable, pas avec sa sœur. Mais quand elle remit sur le tapis leur dispute de toujours sur les traditions, son cerveau se mit immédiatement en quête d'une explication sur une telle réaction. Malheureusement pour elle, il la connaissait en effet mieux que quiconque, son poing se serra quand les visages de Dex et Elwyn, ces deux incapables et enfants de mal assortis, se matérialisèrent dans son esprit.

-Je vois, c'est encore à cause de ces deux là que nous allons nous disputer.

Prononcer leurs noms, la simple pensée aurait put lui provoquer des nausées. Ces deux petits et insignifiants cloportes qui tournaient autour de sa sœur, Dex qui lançait des rumeurs depuis qu'il était bien assorti, il les auraient tués depuis longtemps si cela n'avait pas été illégal, surtout ce salaud de Dex. Il reprit contenance, se dressant de toute sa hauteur et regardant sa sœur avec un air d'autorité. Julianna et lui, c'était une histoire complexe, elle n'avait jamais compris qu'il accorde autant d'importance à leur nom, qu'il voulait le meilleur pour elle, que sa place dans la société était importante, mais elle ne l'écoutait pas. Sa voix était posée.

-Notre espèce peut vivre éternellement Juliana, tu est peut-être une adulte, mais tu n'a aucune maturité. Tu te mêle à des étrangers qui ne comprennent rien de la futilité de leur courte existence, à des hybrides impurs, à des personnes qui brûleraient tout ce qu'il y as de beau et de bon dans ce monde pour leur profit personnel. Regarde autour de toi, c'est ça ce que tu veux? Des murs de pierre étouffants? Des planchers obtenus au prix de la mort de milliards de magnifiques et nobles arbres? Ils n'ont aucun sens de l'harmonie naturelle, leurs anciens ne sont dans leur mémoire que de lointains concepts.

Il croisa les bras devant lui dans une posture pleine d'assurance, il n'allait pas se laisser avoir à ses caprices cette fois-ci, il ne reculerait pas si facilement, Dex et Elwyn étaient très loin, ils ne pourraient pas la manipuler comme à leur habitude. Elle voulait être vexante, ils pouvaient jouer à ce jeu à deux.

-Pendant que tu était occupée à préparer ta fuite et à me laisser mourir d'inquiétude, j'ai réellement failli mourir. Attaque de sirène, il y en as dans cette ville d'ailleurs, je ne sort jamais de Woodpine par ce que je ne suis pas aveugle sur le monde extérieur Jules. J'ai été sauvé par mes amis, qui ici te sauverait si tu était en danger.

Il se recula d'un pas et fit un grand geste des bras pour indiquer la foule indifférente.

-Qui à part moi?

De toutes les personnes, il fallait que ce soit son frère, elle était contente de le revoir, mais par moment il lui tapait sur le système, donc elle ne se laisserait pas faire. « Ah tu parles de Dex et Elwyn, c’est vrai que pour toi, ils ne sont pas à la hauteur, mais moi ils sont importants pour moi. » Elle se fichait qu’ils aient des parents mal assortis et que son meilleur ami soit un sans talent, ça ne changeait rien à leur amitié. Même si avec Elwyn, elle ne lui parlait plus vu que c’était devenu compliqué depuis qu’il était en couple. « Puis je vais te dire quelque chose, je suis toujours en contact avec Dex. » Même le jumeau de celui-ci n’était pas au courant, peut être qu’elle provoquait un peu Alwin, mais bon elle considérait qu’il le cherchait un peu aussi.

« Mais pour qui tu te prends pour juger les autres, je te signale qu’on a été à l’institut, on s’est mélangé à d’autres, et on est toujours envie. Puis tu sais les hybrides impurs comme tu dis, bah la plupart sont plus sympa que toi. N’ose pas me dire que je manque de maturité, je suis juste ouverte au monde. Alors que toi, tu veux juste vivre ta petite vie tranquille en jouant les lèches-bottes c’est ça ? Je ne serai jamais comme ça. Les elfes ne sont pas tous innocents, il y a des monstres chez nous comme partout, ne joue pas l’aveugle. » Oui elle était énervée, elle ne supportait pas qu’il juge les autres comme ça, elle se demandait si ça n’empirait pas avec les années. Un jour, elle risquait vraiment de se brouiller avec lui, même si elle ne voulait pas en arriver là. « Je suis désolé pour ce qui t’es arrivé, mais tu es vivant, puis j’ai croisé aussi des sirènes et elles ne m’ont pas fait de mal, ne fais pas d’un cas une généralité. Je peux me sauver toute seule, mais j’ai aussi des amis et ce ne sont pas forcément des elfes » Surtout qu’elle ne serait pas étonnée que son frère l’ait cherché un peu, même si elle ne voulait pas qui lui arrive quelque chose.

« A part toi, je ne sais pas, j’aurai aimé que Elwyn soit là et tu sais pourquoi, car je suis amoureuse de lui et oui, je suis mal assorti avec lui, c’est un sans talent, mais je m’en fiche, j’en suis folle amoureuse. » C’est la première fois qu’elle l’avouait à son frère et comment dire que ça faisait du bien.

Comme d'habitude, Juliana refusait de voir ce qu'elle avait sous les yeux, il détestait Braedon, chaque seconde qu'il y avait passé, chaque non-elfe dont il avait fait la connaissance. Les autres peuples n'avaient pas leur clairvoyance, celle de la perspective d'une vie éternelle, celle d'être les gardiens de savoirs et de choses qui dépassaient l'entendement de simples mortels. Les éphémères s'agitaient bien plus que de raison, ils ne cultivaient pas la patience et la discipline des siens, Juliana avait beau les penser proches d'eux, il n'en était rien, l'huile et l'eau n'étaient pas faits pour se mélanger, leur peuple encore moins avec les autres. Les nymphes et les satyres était proches d'eux certes, mais ils étaient trop frivoles pour qu'on puisse réellement compter sur eux, à part les plus anciens bien sûr. La seule chose qui les unissait tous était leur présence à tous sur cette île, chose qui ne durerait pas si les traditions n'étaient pas respectées et que tous le monde faisait ce que bon lui semblait. Les règles existaient pour une bonne raison, sans elles, les vampires, loups garous et autres monstres auraient sans doute terminés le travail des démons.

Même cet endroit était un parfait exemple, la corruption, le crime, les mercenaires, Braedon était régulièrement à deux doigts d'imploser. Comme Juliana pouvait penser que cet endroit pouvait apporter du bon? Ils ne tenaient que sur une jambe au genou aussi mou que du pain trempé. La voir aussi peu sensible à son agression le blessa sans doute plus qu'il ne s'y était attendu, il eut du mal à ne pas le montrer également, son expression se durcissant face à ce qu'il percevait comme une provocation, presque une agression. Mais rien n'aurait put le préparer à la suite, à ce sentiment que le temps se figeait alors qu'elle disait être amoureuse de Elwyn. Alwin sentit son sang bouillir dans ses veines, son regard se fixer sur Juliana, il savait qu'elle ne mentait pas, il la connaissait mieux que quiconque et pouvait détecter la duplicité en elle, ais elle ne lui mentait pas et c'était sans doute pire. Il clôtura la distance entre eux en un clin d'œil soutenant son regard avec froideur, il n'avait jamais voulu de mal à sa sœur, il ne lui en avait jamais ne serait-ce que souhaité, il l'avait protégée quoi qu'il lui en avait coûté pendant des années, il se sentait trahis.

-Elwyn?!

Le nom semblait l'avoir blessé en sortant de sa bouche.

-Sérieusement? C'est ça ta grosse rébellion contre le système? Contre ta famille? Ta vengeance pour des années d'oppression est le pur produit de ce que je disait juste avant. Ses parents étaient mal assortis par les Ancêtres! Tu pensait vraiment qu'il serait bien pour toi? Je te l'ai dit et répété un million de fois, mais comme à chaque fois tu vas te briser les ailes plutôt que de rester dans le nid.

Il eut une pensée silencieuse pour la malheureuse qui devait se coltiner ce lâche sans-talent. Il se massa les tempes, visiblement exaspéré de devoir avoir encore une fois cette discussion, il détestait se disputer avec Juliana, quand c'était à cause d'eux ça avait le don de le gaver au plus haut point, mais là ça devenait presque personnel et il n'aimait pas ça.

-Pourquoi tu essayes de me faire du mal Juliana? Pourquoi tu veux toujours t'opposer à moi? A ce qui est bien pour cette famille?

« Oui Elwyn, mon meilleur ami, tu étais trop aveugle pour le remarquer. » Ce qui était surprenant vu que Juliana avait passé tout son temps avec son meilleur ami depuis qu’elle était toute petite. « Je n’en ai rien à faire des ancêtres. » Puis ce terme n’importe quoi, ce sont les entremetteurs qui ne décident pas forcément les plus vieux elfes, il y en avait plusieurs. « Tu parles au nom de notre famille, mais tu sais que nos parents ne veulent que notre bonheur, sinon ils m’auraient empêché de fréquenter Elwyn. » Après tout ses parents connaissaient ce lien fort qu’elle avait avec son meilleur ami, sa mère l’avait même interrogé et elle lui avait avoué et elle savait que son père était au courant, en fait le seul avec qui elle évitait le sujet et ce n’était pas pour rien. « Bien sûr qu’il serait bien pour moi, il l’a toujours été et je vais te dire un secret. Il n’était pas rare que la nuit il vienne dormir à mes côtés, je te rassure, c’était en tout amitié. » Autant le préciser avec son frère s’imagine des choses, en fait c’est la seule chose qu’elle avait gardé secret et ça a duré des années, après tout un garçon dans son lit, ça aurait pu être mal pris.

« Espèce d’égoïste, pourquoi tu ramènes tout à toi, ne te pose pas en victime et continue à jouer les moutons si ça te rend heureux. Pour une fois dans ta vie accepte mes choix, car si tu continues comme ça, je ne serai plus ta sœur, si tu continues d’agir en abruti. » Elle était en colère contre lui. « Selon ta définition, je dois être malheureuse en respectant les traditions, tu es vraiment immature. » Oui c’était la petite sœur qui disait ça, mais elle au moins, elle vivait sa vie et elle espérait qu’un jour tout finirait par s’arranger. « Tu ferai mieux de partir, je n’ai pas besoin que tu me fasses la leçon, tu es sans doute le moins compréhensif de la famille. » Pourquoi il avait tourné comme ça ? Leurs parents n’étaient pas aussi fermés aux possibilités.